Daniel Hélin, 2013.
J’attends. J’attends l’heure d’après l’heure.
J’attends après l’heure hystérique où les derniers obsédés des soldes s’envolent de la rue Neuve dans un rugissement de veaux contents mais éternellement insatisfaits.
J’attends l’heure tiédasse où les pakis de night-shop commencent à voir s ’alourdir leur clientèle d’alcoolisés métalliquement festifs ou sinistrement fâchés sur tout.
J’attends l’heure molle ou le touriste japonais se déçoit de la taille du manneken-pis en se réjouissant déjà de la visite de l’atomium by night dans le tour bus affrété par sa boîte.
J’attends l’heure d’après l’heure prévue où le père fatigué allume son poste de télé pour y trouver le réconfortant bordel du monde et la violence larvée dégouliner de sa bière en entendant crépiter la saucisse accompagnant le stoemp familial.
J’attends l’heure excitée où le supporter irlandais attend devant la Bourse le début du match de Gordon fight et de foot fraternel et rageur.
J’attends l’heure d’après l’heure de néon où le fonctionnaire va se chauffer les yeux et mettre 50 euros pour perdre sa gougoute dans une fille de l’est à l’arrière de la gare du nord.
J’attends l’heure affamée où jubile le marchand de frites faisant péter dans la graisse de fin de journée fricandelles jumbo et tendres filaments tuberculeux nimbés de sauces
que le soleil de la journée aura rendues translucides.
J’attends l’heure d’après l’heure transversale où les trams se débondent et laissent passer sur les yeux des lumières jaunes et oranges de point du jour dans un bruit de trancheuse de jambon.
J’attends l’heure d’après l’heure bulleuse où le bébé s’endort après tétée sur un ventre merveilleux de chaleur.
J’attends l’heure insouciante du retour de terrain de basket où on joue au foot pour regagner en sueur la maison où le manger télé annonce la vraie nuit de jeux qui consolent.
J’attends l’heure d’après l’heure ingrate où s’achève dans cette ville ce qu’on appelle une journée.
J’attends à moitié endormi que la nuit vienne afin qu’enfin
je vive. Qui suis-je ?
Qui suis-je ?
Je suis ton super-héros préféré et référent. Je suis ton superhéros préféré et référent.
Je suis celui que les travailleurs craignent et que les bourgeois redoutent.
Je suis celui dont la devise est l’erreur est humaine la glande est divine.
Errare humanum est, glanta divino est.
Je suis super chômeur. Je suis super chômeur.
Allez donc dormir fiévreux de plastique et ennuyeux travailleurs ou l’aube vous arrachera des bras de l’aimé pour engrosser d’obèses et obsédés actionnaires.
Pour moi la vie commence à cette heure ou la vôtre s’enterre.
Ma mission : faire la fête.
Les moyens : mon allocation par vos soins versée.
L’objectif : le café où je m’en vais en quête du plan, de l’occase, du lieu où m’achever joyeusement parmi mes semblables super-héros.
Je me dirige là où les terrasses s’emplissent de cultureux bavards vêtus « world », pensant fond du logement, baisant chrétien et votant vert rouge.
Là sont assis tranquillement super-plasticien, super-danseuse, super-acteur, super-chanteur, super-poête et plein de super-rien du tout avec qui je refais le monde dans le bruit infernal de sonos crasseuses.
Et quand minuit sonne, c’est là que se révèlent mes super-pouvoirs :
Je marche de plus en plus vite et je m’envole au-dessus des boulevards et des rues glauques assis sur mon petit carton de pointage bleu magique qui devient un tapis volant.
J’emmène avec moi les chats perdus et les poètes du rien et nous devenons des chouettes, des buses, des oiseaux de nuit et des moustiques.
Nous venons glisser dans les rêves des pieux et inconscients travailleurs ronflants des messages subliminaux et pervers de révolte, de sabotage, de piraterie et de flibuste.
Des envies de liberté, de paresse, de jeux et d’amitiés festives. Nous nous couchons sur leurs oreillers et nous parlons à leurs cœurs ralentis par le sommeil.
C’est un travail lent de souffle libertaire, plein de patience.
Et quand le jour se lève et que nous regagnons en titubant notre ronron de repos à nous, les réveils sonnent dans les demeures et ceux que nous avons visité ne vont pas travailler.
Ils emmènent leur belle au parc puis ils filent à la mer avec leur mômes en décrétant un congé définitif pour bouffer des embruns, moquer les mouettes et partir pour toujours au soleil.