L’évolution démographique en cours se caractérise également par une transformation du modèle familial classique, ce qui n’est pas sans conséquences, d’une part, sur le secteur du logement lui-même et, d’autre part, sur les besoins de ces familles en mutation.
Un modèle familial en mutation
La famille classique, duo-parentale, tend à ne plus être la norme. Or, la morphologie des logements bruxellois est relativement basée sur ce premier modèle et l’évolution vers des formes d’habitats différents voir modulables n’est pas encore une réalité, ce qui implique une difficulté accrue pour certains ménages à trouver un logement adapté.
On pense bien sûr aux familles nombreuses, en particulier celles bénéficiant de faibles revenus, mais également aux familles monoparentales qui semblent être toujours plus nombreuses à Bruxelles. Pour ces deux types de familles, le coût et la taille relativement formatée des logements bruxellois constituent indéniablement un facteur d’exclusion. Un autre phénomène qui tend lui aussi à prendre de plus en plus d’ampleur est celui de la garde alternée des enfants en cas de séparation des parents. Ceci a un impact sur le marché du logement puisqu’un nombre important de chambres n’y sont occupées qu’une semaine sur deux.
Toutes ces situations font partie d’une évolution globale du contexte sociétal dans lequel nous nous trouvons. Elles contribuent par ailleurs a augmenter la tension déjà existante sur le marché du logement, tout comme sur celui des services d’ailleurs. Dans un contexte de pénurie et de prix élevés, il se crée en effet une forme de concurrence entre les ménages qui se trouve renforcée par l’émergence des besoins spécifiques à chaque situation.
Bruxelles, capitale de la famille monoparentale
Historiquement, la monoparentalité commence à prendre de l’importance dans les années 1960. En 2008, les familles monoparentales représentaient 33% des familles avec enfants dans les 19 communes bruxelloises, contre seulement 20% en région flamande et 29% en Wallonie. Par ailleurs, 15% des mères bruxelloises vivent seules lorsqu’elles accouchent. 24,4% des enfants bruxellois en dessous de 18 ans grandissent dans une famille monoparentale.
Il est probable que la région bruxelloise, en tant que grand centre urbain, devienne à un moment donné du cycle de vie, un refuge pour les familles monoparentales [1]. Les jeunes ménages à revenus moyens quittent la région et trouvent un logement — abordable et mieux adapté — en périphérie bruxelloise où ils s’établissent pour fonder une famille. A la suite d’une désunion ou d’un décès, ces familles, devenues entre-temps monoparentales, retournent en ville. Plusieurs raisons expliqueraient ce « retour » : d’abord la nécessité de réduire les temps de parcours entre lieu de travail, école, domicile, commerces,... Ensuite, la recherche d’un logement plus adapté et moins cher. Enfin, après une séparation, le retour à la location.
Globalement, 77,5% des chefs de familles monoparentales étaient des femmes en 2008. Cette proportion monte à 90,3% si on prend en compte seulement les ménages monoparentaux avec au moins un enfant de moins de deux ans. Un peu moins de la moitié des chefs de familles monoparentales travaillent (37,8 % de salariés - 5,9% d’indépendants). Les autres sont demandeurs d’emploi, inactifs ou émargent au CPAS. La comparaison entre le taux d’emploi des familles monoparentales et celui des familles duo-parentales montre une différence significative en défaveur des personnes issues du premier groupe et cela, autant chez les hommes que chez les femmes.
Déjà fragilisées, ces familles rencontrent du coup plus de difficultés à trouver un logement correct et à bénéficier d’un accès à toute une série de services. Des comparaisons sur base du sexe font davantage ressortir la position plus difficile des femmes. « A Bruxelles, pour les mères seules avec enfants, les logements sont souvent plus petits, de moins bonne qualité et proportionnellement plus coûteux que la moyenne. Les logements sont par ailleurs moins bien chauffés, démontrent plus de problèmes d’environnement (bruits, pollution, vandalisme, délinquance,…) et sont moins bien équipés. » [2]
Crèches : une place pour trois enfants et des besoins flexibles
L’augmentation de la population et la transformation progressive des modèles familiaux amènent par ailleurs des besoins neufs en termes de services. A l’image de ce qui se passe au niveau des crèches bruxelloises, le moins que l’on puisse dire est que ces besoins sont loin d’être satisfaits et que l’adaptation n’est pas encore vraiment en cours.
Le nombre d’enfants de moins de trois ans en région bruxelloise était de 47 440 au 1er janvier 2008, le nombre total de places en crèche étant seulement de 14 391, soit une place pour trois enfants. La proportion d’enfants de cet âge croîtrait encore d’année en année d’ici 2020, compte tenu du nombre de jeunes adultes. L’offre actuelle est donc bien insuffisante pour couvrir les besoins des parents bruxellois en matière d’accueil, d’autant que la ventilation par commune montre de grandes disparités.
Neuf communes se trouvent effectivement en dessous de la moyenne régionale des 31%. Ce sont les communes de l’ouest de la Région de Bruxelles-Capitale (à l’exception de Ganshoren), ainsi que trois communes de l’est de la première couronne (Saint-Gilles, Saint-Josse et Schaerbeek) auxquelles s’ajoute Forest. Le croissant pauvre, avec une part importante d’enfants de moins de 3 ans, a une moyenne de 16 places en milieu d’accueil collectif pour 100 enfants. Certains quartiers, en bordure du croissant pauvre, sont également faiblement fournis en équipements d’accueil collectif, surtout dans le centre d’Anderlecht (Veeweyde, Scheut par exemple).
La demande en milieux d’accueil a évolué depuis 15 ans, tandis que l’offre actuelle n’est pas en adéquation celle-ci. Dans les crèches publiques, il faut bien souvent prouver que l’on a un emploi pour pouvoir accéder à une place et l’inscription n’est possible qu’à condition de placer son enfant un minimum de jours par mois. Or, il existe aujourd’hui une demande de services plus ponctuels pour différents motifs (formations de moyenne et longue durée, entretiens d’embauche, temps libre,...) qui n’est pas suffisamment couverte malgré la mise en place de services de « haltes garderies » dans plusieurs communes.
Une inégalité d’accès aux services
A la difficulté de trouver un logement abordable et adapté, se rajoute donc celle d’accéder à toute une série de services de base, tels que l’enseignement, les crèches, les formations, les soins de santé,... Ce problème est d’autant plus crucial que la hausse démographique en cours est largement due à l’arrivée de nouvelles familles à faibles revenus ainsi qu’à la hausse des naissances dans les quartiers populaires, ce qui aura un impact non négligeable sur les finances publiques.
Se rajoute à cela le fait que notre ville est confrontée à une double limite : celle de son territoire et celle de son sous-financement, ce qui rend difficile la prise en charge des politiques sociales qu’il y a lieu de mettre en œuvre. Dans un tel contexte, le risque est grand de voir nos pouvoirs publics totalement dépassés et impuissants, laissant au secteur privé le soin de répondre aux besoins existants. On le voit déjà au niveau des crèches, où le manque de places disponibles dans le public pousse les ménages à se tourner massivement vers le secteur privé. Mais le problème se pose également de manière de plus en plus prégnante au niveau des écoles, où, petit à petit, l’ensemble des niveaux d’enseignement arrivent à saturation. Inexorablement, cette situation risque de nous conduire à un nivellement vers le bas de notre enseignement ainsi qu’à une ségrégation de plus en plus marquée entre ceux qui disposent des moyens nécessaires pour inscrire leurs enfants à temps et à heure dans les bonnes écoles et les autres.
A ce jeu, les familles déjà fragilisées économiquement ou socialement ou simplement de par leur structure partent perdantes.