Inter-Environnement Bruxelles
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Bas les PAD ! Mobilisation contre les Plans d’aménagement directeur

En février 2020, naissait la plate-forme Bas les PAD exigeant de toute urgence un moratoire sur les Plans d’aménagement directeur (PAD), sources d’un double processus de dérégulation du cadre réglementaire urbanistique et d’affaiblissement du débat public. Retour sur cet outil de planification urbaine s’illustrant particulièrement par son déficit démocratique.

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Dans le cadre des nombreux remaniements ayant pour ambition de simplifier et de rationaliser les procédures urbanistiques à Bruxelles, un nouvel outil d’aménagement du territoire est né en 2018 : le plan d’aménagement directeur (PAD). Le PAD est issu de la réforme du code bruxellois de l’aménagement du territoire (CoBAT). Finalisée en 2018, cette réforme s’inscrit dans le bouleversement du paysage législatif qui, en l’espace de sept ans, a balayé l’ensemble des repères de la réglementation urbanistique de la Région depuis l’adoption du PRAS démographique en 2013 [1]. Son but vise à simplifier les procédures urbanistiques et à accélérer le travail des administrations afin de faciliter les projets de développement urbain, qu’ils soient publics ou privés [2]. La justification ? Le boom démographique observé depuis 2010, qui nécessiterait d’urbaniser de nouvelles zones pour y construire du logement afin de répondre à une pénurie projetée. L’outil PAD, cumulé au Plan canal, visait surtout à assurer la création de 40 000 nouveaux logements. Un objectif qui peut sembler louable et conforme à l’intérêt général… si ce n’est que le boom démographique a été ensuite fortement relativisé [3] et que ces plans ont surtout permis de produire des logements financièrement inaccessibles en gaspillant un foncier précieux et en écrasant au passage la biodiversité.

Genèse d’un outil hors norme

Le PAD est un outil hybride qui remplace le Schéma Directeur (SD), dispositif qui était déjà destiné à encadrer le développement de zones présentant une importance stratégique pour la Région. Mais là où le SD n’était doté que d’une force indicative nécessitant l’appui d’un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) pour en définir les aspects réglementaires, le PAD permet désormais de définir simultanément les aspects stratégiques (qui brossent l’orientation du projet, à titre indicatif) et réglementaires (qui en définissent les aspects obligatoires) de l’aménagement d’une portion du territoire. En tant qu’outil régional, le PAD peut recouvrir les territoires de plusieurs communes (alors qu’un PPAS est communal) et peut urbaniser n’importe quelle portion du territoire de la Région : un îlot (PAD Porte de Ninove), un quartier (PAD Heyvaert), une vaste friche ferroviaire à cheval sur deux communes (PAD Josaphat).

Pour accroître son efficience, l’outil se définit comme dérogatoire. Le volet réglementaire du PAD abroge ainsi l’ensemble des dispositions réglementaires qui lui sont contraires. Il a la capacité de « déroger » aux instruments d’aménagement du territoire qui lui sont hiérarchiquement supérieurs (le plan régional de mobilité, le RRU, etc.), y compris l’instrument ultime : le PRAS, qui définit les affectations du sol en Région bruxelloise.

Pour mieux comprendre l’impact de cette capacité dérogatoire, prenons l’exemple du projet de centre commercial NEO sur le plateau du Heysel. Selon le PRAS, le plateau du Heysel était considéré jusqu’en 2012 comme une zone d’équipements collectifs n’autorisant pas la réalisation d’un centre commercial de 72 000 m². Dans le cadre du PRAS démographique précité de 2013, la Région va créer la zone d’intérêt régional (ZIR) n°15 qui autorise d’affecter la zone à du commerce. À deux reprises, riverain·e·s et associations iront en recours contre cette modification du PRAS. À deux reprises, le Conseil d’État leur donnera raison et annulera la ZIR n° 15. Pour couper court à tout recours ultérieur, la Région sortira de son chapeau son nouveau joker : un PAD pour le Heysel permettant de passer outre à la lourde procédure de révision du PRAS. La même technique de contournement a été utilisée dans le quartier européen à l’égard du Règlement régional d’urbanisme zoné (RRUZ) de la rue de la Loi [4]. Les PAD offrent ainsi une légalité à des projets hors normes tels un gigantesque centre commercial ou un cluster de tours.

Retour sur une déferlante tétanisante

Suite à l’entrée en vigueur du CoBAT en 2018, les habitant·e·s vont assister au lancement quasi simultané de pas moins de treize projets de PAD [5]. En juin 2018, le Bureau bruxellois de la planification (BBP), rebaptisé Perspective.brussels prévoit la présentation marathon de dix projets en l’espace d’une semaine . Un momentum que citoyen·ne·s et associations dénoncèrent comme anti-démocratique dans une carte blanche, largement signée, intitulée « Faire la ville sans les gens » [6]]. Les signataires y réclamaient une politique de développement territorial discutée dans les quartiers et non dans les bureaux des administrations de l’aménagement du territoire et les salons de la promotion immobilière.

L’année suivante, huit enquêtes publiques sortaient en rafale : quatre en février 2019 (Casernes à Ixelles, Gare de l’Ouest et Porte de Ninove à Molenbeek, Mediapark à Schaerbeek) et quatre autres neuf mois plus tard (Josaphat à Schaerbeek/Evere, Heyvaert à Anderlecht/ Molenbeek, Loi pour Bruxelles-Ville/Etterbeek et Herrmann-Debroux à Auderghem). Selon le CoBAT, les citoyen·ne·s ont deux mois pour consulter les centaines de pages de chaque rapport d’incidences environnementales. En juin 2019, l’ARAU, le BRAL, BruxellesFabriques, le Centre de Rénovation Urbaine d’Anderlecht (CRU), le comité Mediapark, le comité PorteNinovePoort, IEB et l’Union de Locataires d’Anderlecht Cureghem (ULAC) tiraient la sonnette d’alarme : « Le processus d’adoption de ces plans semble offrir un espace à la participation des citoyens mais, dans les faits, il ne joue pas ce rôle. Les remarques émises par les citoyens et les associations lors du processus d’information et de participation ne sont pas rendues publiques et c’est l’administration qui en opère une synthèse. Les enquêtes publiques ne donnent lieu à aucune commission de concertation, qui permettrait un échange des points de vue et une publicité des remarques. Vidée de ce qu’il lui restait de substance, très en aval de la procédure, l’enquête publique n’est plus rien d’autre qu’une boîte aux lettres » [7]. En gros, la Région fait le diagnostic, les questions et les réponses, mais sans laisser place au débat.

Le tir groupé eut pour conséquences que les habitant·e·s, associations et comités concernés par plusieurs PAD se retrouvèrent à ingurgiter jusqu’à l’indigestion les milliers de pages des dossiers cumulés. Interpellé en Commission de développement territorial en novembre 2019 sur cette rafale indigeste, Rudi Vervoort rétorquait : « Nous sommes partis de l’idée que les riverains n’étaient pas des riverains multiples : on ne peut être riverain que d’un PAD et non de plusieurs PAD en même temps » [8]. C’était faire fi du fait que certains PAD se jouxtent (par exemple Heyvaert, gare de l’Ouest et Porte de Ninove). C’était également faire fi du fait que nombre d’habitant·e·s demandent à être éclairé·e·s/outillé·e·s par des associations actives sur plusieurs de ces territoires. C’était aussi oublier qu’une multitude d’autres instances sont sollicitées pour rendre un avis étayé sur l’ensemble des PAD (les Conseils d’avis en matière de logement, environnement, mobilité, questions économiques et sociales ainsi que la Commission régionale de développement qui chapeaute toutes les autres). Nos autorités voudraient éviter de devoir faire face à des critiques fouillées, légitimes et pertinentes qu’elles ne s’y prendraient pas autrement.

Cet état d’urgence eut en outre forcément comme conséquence une qualité médiocre des dossiers soumis à l’enquête [9]. La CRD regrettera de ne pas avoir été informée plus en amont des projets et pointera l’insuffisance de l’intégration transversale des objectifs des différents plans régionaux. Elle soulignera le manque de prise en compte des aspects opérationnels (participation, phasage, montage financier) et d’attention cumulée aux différents projets situés aux alentours des PAD. En sus de quoi, la CRD demandera la réouverture d’une enquête publique pour plusieurs PAD. Lors de son audition en juillet 2020 au Parlement, la CRD reconnaîtra, d’une part, que les dossiers PAD étaient déjà tellement avancés qu’ils ne pouvaient faire l’objet d’une réelle participation - la majorité des arbitrages avaient déjà eu lieu en amont - et, d’autre part, qu’il était problématique de mettre tous les projets à l’enquête publique simultanément.

Naissance d’une large mobilisation

Fin 2019, IEB diffusera largement une vidéo au format court destinée à saisir rapidement les enjeux du dispositif. Les propositions inadaptées aux problèmes identifiés par les habitant.es et le manque total de concertation et de considération vont mener les habitant·e·s et associations à s’organiser en plate-forme pour espérer être entendus des pouvoirs publics dans un contexte où ces derniers avaient affirmé, en début de législature, leur volonté d’améliorer les processus de participation [10]. C’est ainsi que naîtra en février 2020 la plate-forme Bas les PAD [11] dotée d’une déclaration commune demandant de toute urgence un moratoire sur les PAD en vue de stopper le double processus de dérégulation du cadre réglementaire et d’affaiblissement du débat public [12].

La plateforme se donnera pour mission de :

  • coordonner les actions de ses membres contre la déstructuration de l’édifice réglementaire et en faveur d’une meilleure et plus large participation ;
  • revitaliser un débat public afin de sortir de l’imbroglio dans lequel il se trouve embourbé ;
  • interpeller au sujet d’outils urbanistiques qui ouvrent la porte aux spéculations des grands acteurs financiers aux dépens des habitants bruxellois ;
  • inciter à améliorer le CoBAT en y intégrant notamment des processus d’évaluation et de participation plus performants ;
  • exiger le maintien du foncier dans des mains publiques, voire développer un foncier public trop rare à Bruxelles.

La plate-forme fit mouche et conduisit deux partis de l’opposition, (le CDH et le MR) à déposer une proposition d’ordonnance visant à améliorer le processus participatif dans le cadre des PADs et un troisième(le PTB) à s’aligner sur la demande de Bas les PAD pour un moratoire sur l’outil de planification urbaine. Certes, les trois textes furent rejetés majorité contre opposition mais la lecture plus fine des débats mis en avant un consensus pour considérer que les PAD posent un problème de bonne gouvernance. La parlementaire Ecolo Isabelle Pauthier fit cette déclaration : «  Les PAD devraient être débattus plus en amont sur base des diagnostics et d’un projet de plan dont les options ne sont pas ficelées (…) C’est d’abord la gouvernance des PAD qui fait débat car la participation est réduite au droit d’être informé ». La parlementaire PS Delphine Chabert fut plus prudente mais concéda néanmoins que : « chacun est d’accord pour dire que les PAD sont loin d’être parfaits. Tout le monde reconnaît leur nécessité mais qu’ils posent de nombreuses questions. Le gouvernement dans son avis se déclare prêt à améliorer cette procédure » [13].

Ne voyant rien venir en termes de réaménagement plus démocratique de la procédure, le Collectif Bas les PAD adressera une lettre ouverte au Ministre Président Rudi Vervoort en mai 2021 pour exiger, a minima, un engagement de la part de ce dernier pour que tous les PAD déjà engagés fassent au moins l’objet d’une réactualisation des données et d’une deuxième enquête publique [14].

Le premier PAD adopté, sans doute un des moins problématiques, fut le PAD Caserne, en janvier 2021. En décembre 2021, sortirent les PAD Heyvaert et Gare de l’Ouest, qui suscitèrent peu de contestation malgré un certain nombre de critiques émises à leur encontre, notamment liées à la densification excessive autorisée et aux décalages entre les réponses apportées et les besoins fondamentaux des populations habitant ces quartiers populaires. Le 1er juin 2022, c’était au tour du PAD Herrmann-Debroux d’entrer en vigueur. Par contre, les projets de PAD Porte de Ninove, Josaphat et Mediapark durent faire face à suffisamment de contestations pour nécessiter une révision et l‘organisation d’une nouvelle enquête publique. Le PAD Porte de Ninove fut finalement adopté en deuxième lecture en janvier 2024 et est pour le moment à l’examen par le Conseil d’État. Le PAD Mediapark a été adopté le 25 avril 2024, suivi du PAD Défense, en mai de la même année. Après deux enquêtes publiques, le projet de PAD Josaphat, fortement contesté, est toujours en stand by. Le projet de PAD Heysel, destiné à permettre le projet de centre commercial NEO, n’a pas avancé d’un iota depuis 2019. Les projets de PAD Loi et Midi ont été purement simplement recalés suite à l’amoncellement de critiques à leur encontre, au point qu’ils ne sont même plus repris dans le tableau de bord de Perspective Brussels [15].

Au-delà d’une procédure peu démocratique, le PAD est un outil de planification sur mesure de projets immobiliers dérogatoires. En effet, dans la mesure où, comme on l’a vu, aucune disposition réglementaire ne lui résiste, le PAD permet de « libérer » les projets dérogatoires destinés à s’implanter dans son périmètre « de la plupart des contraintes réglementaires » qui leur seraient normalement applicables, en faisant « l’économie des procédures de révision propres aux outils concernés » [16]. Alors qu’une bonne partie des PAD se développe sur des sites publics, ils y proposent massivement des projets privés. Bas les PAD s’est mobilisé contre les PAD mais aussi contre la privatisation du foncier bruxellois pour demander :

  • de préserver et d’augmenter les espaces verts et les sols vivants en ville ;
  • d’accroître le foncier public pour y développer des logements abordables c.à.d. à tarifs sociaux et des équipements liés à la petite enfance et à l’éducation ;
  • de prendre des mesures permettant le recyclage et la réquisition des espaces vacants pour les affecter à aux fonctions dites « faibles » mais essentielles à la vie urbaine. [17]

La pertinence et la multitude des critiques émises en cours de processus ont mis en lumière les défauts intrinsèques du dispositif, indépendamment de sa mise en œuvre. C’est pourquoi la plate-forme Bas Les PAD continue de réclamer une révision de l’outil législatif permettant de construire une ville à la taille des habitant·e·s plutôt qu’à la taille des promoteurs. Des PAD d’utilité publique assurant la production de logements publics, la préservation de la biodiversité et jugulant la spéculation immobilière au lieu d’en épouser les contours !

par Claire Scohier

Inter-Environnement Bruxelles


[1Suite au constat d’une importante montée de la démographie bruxelloise, en 2013, la Région modifie en profondeur son Plan régional d’affectation du sol (PRAS) dans l’objectif de permettre la création de nombreux logements destinés à accueillir la population en croissance. Lire notre article : C. Scohieret S. Charlier 2001, l’Odyssée du PRAS.

[2Lire C. Scohieret S. Charlier Urbanisme : quand efficacité rime avec déni démocratique in Bruxelles en mouvements n°299, juin 2019.

[3Les derniers chiffres du Bureau Fédéral du Plan et de l’IBSA montrent que la croissance annoncée de +10 % de ménages par an s’est ensuite tassée à 6 % jusqu’en 2020 et 2 % jusqu’en 2030, soit environ +26.055 habitants supplémentaires soit 12.200 ménages. Or la Région produit environ 3500 logements neufs par an, plus qu’assez pour loger les 1.200 ménages qui s’ajoutent chaque année.

[5Bordet, Caserne, Défense, Gare de l’Ouest, Herrmann-Debroux, Heyesl, Heyvaert, Josaphat, Loi, Maximilien-Vergote, Mediapark, Midi, Porte de Ninove.

[8Interpellation par Mme I. Pauthier le 4 novembre 2019, p.12.

[9Ainsi lors de la soirée d’information sur le PAD Midi en 2021, il fut reconnu que les données prises en compte dans les études (notamment les aspects démographiques et la problématique de mobilité) étaient dépassées et obsolètes. Le représentant de la Région affirmera que le dossier devrait être revu sous plusieurs aspects et qu’une nouvelle enquête publique publique devrait avoir lieu alors que la première n’était même pas terminée.

[10Voir la Déclaration de politique régionale 2019-2024, pp. 7, 85 et 107.

[12L’intégralité de la déclaration est lisible sur le site de la plate-forme : https://www.baslespad.brussels/. La plate-forme est composée de représentants de tous les territoires concernés par les PAD (une trentaine de comités de quartiers) et est soutenue par l’ARAU, le BRAL, IEB et Natagora.

[16J. Van Ypersele, P. Levert et Y. Feng, « La réforme du 30 novembre 2017 du Code bruxellois de l’aménagement du territoire : quelques bouleversements en perspective », Amén., 2018/2, p. 104.