Jean Louis Smeyers et Mathieu Sonck — 31 août 2011
Alors que le gouvernement étudie la note de la Ministre Grouwels sur les conséquences d’un abandon du projet de bétonnage de l’avenue du Port, les habitants et associations membres de l’APPP [1] l’analysent et font des propositions concrètes au gouvernement.
La lecture des habitants se veut « à charge et à décharge » et tente de sortir ce dossier épineux de l’impasse. Les considérations qui suivent montrent que le projet des habitants est parfaitement réaliste. Il favorise la remise au travail de 40 Bruxellois, développe l’économie locale non délocalisable et permet à la Région de faire de substantielles économies.
Rétroactes...
Avril 2008 : le projet de réaménagement de l’avenue du Port est présenté à l’enquête publique alors que les aménagements de Tours & Taxis sont toujours inconnus. Il provoque une levée de bouclier unanime de la part des comités de quartier, de nombreuses associations et administrations régionales. La commission de concertation passe outre leurs remarques et le permis est accordé le 8 octobre de la même année.
Juin 2009 : le nouveau gouvernement bruxellois inscrit dans son programme le projet de l’avenue du Port. Pourtant, aucun parti au pouvoir n’a fait campagne sur ce thème. Le BILC, projet de centre logistique routier au droit du pont des Armateurs qui justifiait aux yeux du gouvernement précédent le bétonnage de l’avenue, est lui abandonné le 14 janvier 2010.
Octobre 2010 : la Ministre des travaux publics, élue avec un peu plus de 2000 voix de préférence, lance un appel d’offre (qui ne respecte pas les exigences du permis d’urbanisme) pour l’attribution du marché de travaux. Les comités et associations réclament l’abandon du projet, urbicide et totalement injustifié depuis l’abandon du BILC. Ils réclament le maintien du caractère industriel et patrimonial de l’avenue, la sauvegarde des platanes et proposent l’aménagement provisoire d’une piste cyclable en attendant que le projet soit remanié.
22 mars 2011 : sourde aux multiples requêtes de la société civile, la Ministre Grouwels attribue le contrat à l’entrepreneur Verhaeren. Les habitants se mobilisent de plus belle.
Eté 2011 : près de 10 000 Bruxellois soutiennent un mouvement de contestation qui rallie de nombreuses personnalités bruxelloises. Les habitants proposent un contre-projet, moins cher, respectant les platanes et les pavés et proposant un cheminement cycliste équivalent. Les déclarations politiques se multiplient en faveur du projet des habitants. La section locale bruxelloise du parti socialiste et le secrétaire d’Etat Emir Kir, la section locale bruxelloise du CDH, Ecolo et ses représentants au gouvernement, Groen et Bruno De Lille se prononcent publiquement contre le projet de Madame Grouwels. Politiquement, la Ministre Grouwels semble totalement isolée.
29 août 2011 : le gouvernement se réunit et prend connaissance d’une note présentée par la Ministre Grouwels qui affirme que l’abandon du projet coûterait près de 5 millions d’euros à la Région et ferait perdre trois ans avant qu’un nouveau projet ne soit mis en œuvre. Cette note, rédigée par les auteurs du projets de Madame Grouwels, juges et parties, est un tissu d’allégations à l’égard du projet des habitants.
1er septembre 2011 : le gouvernement décide de maintenir le projet toujours sans la moindre concertation avec les habitants.
Projet responsable - Contre-projet irréaliste ?
« Les arbres sont malades, il faut tous les abattre »
La note indique 24 arbres dépérissant. Onze d’entre eux ont été abattus. Il en reste 13, sur près de 300 sujets. L’argument de madame Grouwels est bien léger : moins de 3% des arbres sont malades.
« Les arbres empêchent la création d’une piste cyclable »
C’est faux, le projet alternatif prévoit le maintien des arbres et la création d’une piste cyclable sécurisée. Les habitants sont prêts à rencontrer le gouvernement à sa meilleure convenance pour expliquer leur projet dans le détail.
« Le béton, c’est durable »
Le durable que la note de la ministre défend, c’est celui d’un entretien minimum pour une durée de vie maximum. Ce que la note ne dit pas, c’est l’impact écologique de la fabrication et de la mise en œuvre du béton et le fait qu’il n’est pas rare de voir des routes en béton vieillir prématurément.
« Les racines seront abimées par les travaux et cela condamne les arbres »
Cette affirmation n’est corroborée par aucune étude. On se demande alors comment il a été possible de refaire de nombreuses rues arborées bruxelloises sans condamner les arbres.
« Il n’y pas d’obligation historique de maintenir les pavés »
Il n’y pas plus d’obligation de les sacrifier au profit d’une coulée de béton qui n’a pas l’apanage de la modernité.
« Les trottoirs en dolomie vont empoisonner les arbres par le changement d’acidité »
Cette assertion est sujette à caution, surtout pour des sujets adultes. Le choix de la dolomie répond à des considérations financières. Nous restons ouverts à toute proposition moins coûteuse.
« Les voitures roulent trop vite sur les pavés »
C’est vrai, mais bien moins vite que sur un béton lisse ! La preuve en est que la demande de permis d’urbanisme prévoit l’installation de radars automatiques.
« Le contre-projet va nous faire perdre du temps »
Au contraire, la technique de mise à bout des pavés permet le maintien de la circulation pendant toute la durée des travaux.
La Région va-t-elle devoir casser sa tirelire ?
Le calcul de l’impact financier de l’abandon du projet de bétonnage de l’avenue du Port mérite toute notre attention. Nous sommes soucieux des deniers publics et voulons défendre des solutions économiques. La note évalue les dommages et intérêts dus à l’entrepreneur à près de 3 millions d’euros, pour un projet de 12 millions au total !
La note évalue au centime près les frais déjà engagés par l’entrepreneur. Elle additionne les matériaux déjà achetés (comme s’ils n’avaient plus de valeur marchande), le stockage, des pertes de rendement (lesquelles ?), des ruptures de contrats avec des sous-traitants (alors que la pratique veut que les contrats se signent toujours au fur et à mesure de l’avancement du chantier), les coûts d’adjudication (alors que ce sont des frais généraux), l’entièreté des frais généraux (sans qu’un seul coup de pelle ait été donné) et une valorisation à 100% de la perte théorique de bénéfice de l’entrepreneur ! Cette évaluation est simplement grotesque !
Mais la note se garde bien d’évaluer le coût, même approximatif, du projet alternatif proposé par les habitants. Elle cite simplement de nouvelles études, pour un montant d’un demi-million d’euros (comme s’il fallait recommencer l’étude à partir de zéro) et des frais d’entretien sur 40 ans de 1,8 millions d’euros.
Partons du principe que ces chiffres sont corrects. Combien coûterait le contre-projet des habitants ? Nous ne sommes ni ingénieurs, ni économistes mais nous avons pris nos renseignements. Si les données qui suivent sont à prendre avec précaution, elles donnent un ordre de grandeur.
Selon les professionnels du secteur, le prix au mètre carré de la pose de pavés de voirie + fondation + sous- fondation = 65 €/m² hors TVA et hors pavés (réutilisés).
La surface totale de la chaussée future hors trottoirs et hors pistes cyclables (partie voie carrossable) de l’avenue est de 1 600 m x 13,8 m = 22 080 m². Pourquoi 13,8 m ? Parce qu’actuellement, l’avenue fait 18 m de large et qu’il faut en déduire 2 x 2,1 m (1,5 m de piste cyclable + 60 cm de retrait de sécurité) pour les 2 pistes cyclables en asphalte.
Le prix au mètre carré pour la pose d’asphalte de voirie + fondation + sous-fondation en béton = 40 €/m² hors TVA. Ce prix est applicable à la piste cyclable. La surface totale des 2 pistes cyclables est de 1 600 m x 4,2 m = 6 720 m².
Le prix approximatif de la réfection de l’avenue du Port (hors trottoirs, réseau d’égouttage et « caniveau technique ») est donc de 22 080m² x 65€ + 6720m² x 40€ = 1,7 millions d’euros hors TVA, soit 2,06 millions d’euros (TVAC). Ce calcul est corroboré par l’évaluation des coûts d’entretien de l’avenue du Port (les pavés nécessiteront un redressement tous les 20 ans) dans la note de la Ministre.
En additionnant à ce montant les sommes avancées par la note de la Ministre, le coût du contre-projet est de 2,06 millions + 1,8 millions = 3,86 millions d’euros, soit largement inférieur au coût du projet actuel. A ce stade, les habitants ne sont pas en mesure d’évaluer précisément les travaux annexes liés au réseau d’égouttage et au caniveau technique pour lesquels l’accès aux informations leur a été refusé.
Notons que cette estimation constitue une hypothèse haute basée sur une technique de pose sur lit de béton alors que le contre-projet préconise une pose traditionnelle nettement moins chère à mettre en œuvre et toute aussi résistante.
Économie supplémentaire pour la collectivité : 16 millions d’euros !
Le calcul qui précède dégage une marge d’économie de plus de 4 millions d’euros. Cette somme permet de dédommager l’entrepreneur même à la valeur élevée avancée par la note de la Ministre.
Et c’est sans compter un volet important de la contre-proposition des habitants : le projet de création d’une coopérative d’économie sociale, « Les Paveurs Bruxellois ». Car Bruxelles manque cruellement d’ouvriers spécialisés dans la pose et l’entretien traditionnels de voiries pavées. Le projet défendu par les habitants permet de former et de mettre à l’emploi 40 demandeurs d’emploi bruxellois. Cette proposition économise 40 emplois sur 40 ans pour plus de 16 millions d’euros d’indemnités de chômage [2] !
Conclusions
La note du cabinet de la Ministre Brigitte Grouwels conclut sur le fait que les adaptations requises par le contre-projet des habitants sont à ce point fondamentales qu’elles nécessitent une nouvelle demande de permis d’urbanisme et fait courir à la Région le risque de procédures de recours et autres batailles.
Il est bon de rappeler que si les habitants sont engagés de longue date dans leur lutte contre un projet urbicide, ils soutiendront un projet qui respecte leurs principes : la sauvegarde du patrimoine, le maintien des pavés en pose traditionnelle et des platanes, une piste cyclable sécurisée et la création d’une entreprise d’économie sociale, le tout permettant de substantielles économies pour la collectivité.
[1] Action Patrimoine, Pavés, Platanes.
[2] Sur base d’une indemnité de chômage annuelle de 10 000 euros.