Inter-Environnement Bruxelles
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Aux habitants de Bruxelles, avec une pensée particulière pour les habitants des quartiers autour de la place Verboekhoven

Je voudrais vous parler d’un disparu, le Maelbeek. Une enquête sur sa disparition a commencé à Ixelles dès 2001, à cause de la construction d’un bassin d’orage sous la place Flagey pour contenir ses inondations catastrophiques.

Début 2008, des collectifs d’habitants décidés à penser un autre rapport entre la ville et l’eau dans le cadre de l’exposition Open Source sont arrivés à la conclusion que le Maelbeek était bel et bien mort, mais qu’on pouvait lui faire un enterrement digne en signalant son tracé par des plaques d’égout artistiques. Ce tracé s’étend d’Ixelles à Schaerbeek et traverse 5 communes.

Ainsi est né Maelbeek Mon Amour [1]. MMA invite des habitants, artistes ou associations à participer à la production de ces plaques créatives. Cette invitation s’accompagne d’une réflexion sur la ville et sur son développement en rapport à l’eau. Moi-même, Super Désasphaltico [2] suis né aussi pendant l’exposition Open Source.

En mars 2009, dans le cadre de mes activités de Super Amigo aux côtés de collectifs partisans de la désimperméabilisation des sols en ville, j’ai été appelé dans le quartier de la Cage aux Ours [3] à Schaerbeek. J’y ai été invité par un collectif qui se nomme les baladins du Maelbeek [4] pour retirer la première dalle d’une station service vouée à disparaître, rue Navez. Ils organisaient avec l’asbl RenovaS une marche dans le quartier pour permettre à chacun de constater, à travers les traces laissées dans le paysage, la disparition. Ils nous ont montré un premier indice avenue Voltaire et rue Metsys : des plaques d’égout portant la mention mael-scaerenbeek. Ils m’ont également rapporté qu’en 2010, lors de la construction d’un immeuble sur une dent creuse rue Walhem, au sud de la Cage aux Ours, les travaux ont du être interrompus et les fondations revues à cause de la présence d’un large pertuis. Ce serait un des lits souterrains du disparu.

A Schaerbeek : les baladins du Maelbeek et FEZA asbl sur les traces de l’eau dans le quartier

En mars 2010, mes amis baladins ont rencontré un groupe de femmes du quartier, réunies au sein de l’asbl FEZA. Il s’agit principalement de femmes migrantes, des participantes : FEZA met l’accent sur la participation active au processus d’ouverture et d’épanouissement que se veut le passage par l’association.

Ensemble, les baladins du Maelbeek et les femmes de FEZA se sont mis à la recherche d’autres d’indices qu’aurait laissés le disparu. Une marche dans le quartier fut l’occasion pour les baladins de présenter aux femmes une artiste schaerbeekoise qui a produit un triptyque à regarder en passant, littéralement. Il met en rapport ce qui dans le paysage aujourd’hui et les images d’hier signale la disparition du Maelbeek. Cette marche les a emmenés jusqu’à une source appelée la fontaine d’Amour, dans le parc Josaphat. Autour de la fontaine la discussion s’est engagée avec un responsable des espaces verts de la Commune et les questions des femmes ont commencé à fuser : pourquoi cette eau n’est pas potable ? Peut-on boire l’eau du robinet ?

Lors de la séance suivante, les participantes ont visionné un diaporama sur le projet Maelbeek Mon Amour, dans le contexte du rapport de la ville avec ces eaux refoulées. Ensuite les femmes ont dessiné leurs idées avant de les graver [5] sur des plaques de linoléum. Lorsque Maelbeek Mon Amour passera en phase de réalisation, ces gravures pourront être sélectionnées parmi les autres projets déjà créés [6] en vue d’orner une plaque d’égout.

Lors de ces ateliers, il y a eu des moments forts : une première expérience avec le dessin ; la con-centration et la complicité des femmes lorsqu’elles gravaient sur le linoleum ; l’heure du thé ; l’émerveillement et la joie au moment de l’impression ; les échanges directs qui ont suivis les ateliers sur les difficultés de se sentir à l’aise dans l’espace public, ou de partager ce genre d’expérience avec le conjoint. La collaboration s’est conclue par une visite du musée des égouts — où la Senne voutée est visible — et par la production d’une brochure permettant de laisser aux participantes une trace de leur travail.

La collaboration entre les baladins du Maelbeek et FEZA asbl montre qu’il est possible de susciter la participation d’habitants d’origines, d’âges ou de niveaux socio-économiques divers à partir d’un autre imaginaire de la ville. Mais si on s’arrêtait là, ce serait au milieu du gué... Partant de l’hypothèse qu’on allait réaliser ces plaques d’égout créatives, les baladins du Maelbeek ont suscité une attente chez les participants aux ateliers. Il appartient maintenant aux mandataires politiques — en tant qu’administrateurs des sociétés publiques qui posent et utilisent les plaques d’égout et en tant que garants d’un espace public de qualité — de mener Maelbeek Mon Amour à bon port, avec ses promotrices et promoteurs, habitantes et habitants de la vallée.

Super Désasphaltico


[1Voir BEM n°243.

[3Nom officiel, place Eugène Verboekhoven.

[4Soutenus dans le cadre du contrat de quartier Navez-Portaels.

[5La linogravure est une technique de gravure proche de la gravure sur bois, et se pratique sur un matériau particulier, le linoléum.

[6A ce jour, quatre séries d’ateliers ont déjà eu lieu à Etterbeek, Ixelles et Schaerbeek et ont permis la création d’une cinquantaine de motifs.

Voix d’eau