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Atenor : un(e) tour de passe-passe...

Un projet de tour de logements de luxe, situé à coté du pont des Armateurs, a été soumis à l’enquête publique par le promoteur Atenor. Il passe en commission de concertation à Bruxelles-Ville ce mercredi 10 mars 2010 à 11h.

La démocratie urbaine bafouée

Le projet de la tour Premium soumis à l’enquête publique constitue le point d’orgue d’une saga qui démontre le peu de cas fait par la Ville de Bruxelles des principes élémentaires de la démocratie urbaine.

Affichage de propagande du promoteur pour son projet :
une meilleure qualité de vie, oui, mais pour qui ?

Acte 1 : la Ville de Bruxelles délivre en 2008 un permis de détruire un bâtiment à la valeur patrimoniale incontestable sans projet officiel de remplacement.
Acte 2 : Christian Ceux, échevin de l’urbanisme, se déclare publiquement partisan du principe de construire une tour au même endroit avant même que le PPAS, préparé par la Ville sur mesure pour le promoteur, ne passe à l’enquête publique.
Acte 3 : Atenor détruit le bâtiment malgré un recours au Conseil d’État de Pétitions-Patrimoine.
Acte 4 : Un PPAS sur mesure est approuvé, faisant fi de toutes les remarques des habitants.
Acte 5 : Atenor soumet son projet à l’enquête publique, un projet soutenu dans les médias par l’échevin de l’urbanisme de la Ville de Bruxelles, avant même que les habitants n’aient pu se prononcer en commission de concertation.

Une étude d’incidences bidon, partiale et manipulatrice

Ce mercredi 10 mars, la commission de concertation réunie à la Ville de Bruxelles statuera sur les résultats de l’étude d’incidences relative au projet Premium. Ce ne sont pas moins de 29.615 m² de bureaux (répartis en 4 bâtiments de 7 étages), 48.780 m² de logements (soit 361 logements répartis en une tour de 41 étages et 4 immeubles de 8 étages) et 752 places de parking sur 4 niveaux en sous-sol.

Le résumé non technique[1] de l’étude d’incidences s’en cache à peine, il instruit à décharge uniquement. Toute alternative imposée par le cahier des charges est battue en brèche dès lors qu’elle nuit aux intérêts financiers d’Atenor. Est-il nécessaire de rappeler que les études d’incidences sont réalisées par des bureaux d’études, dans ce cas-ci le bureau Agora, financés par le demandeur et relativement peu encadrés par les pouvoirs publics ?

Exit donc l’option de raboter la hauteur de la tour à 100 mètres[2], d’atteindre le standard passif ou même de supprimer la fonction bureau, autant d’options qui réduiraient la marge bénéficiaire du projet. Le promoteur annonce un investissement de 110 à 130 millions d’euros. Ramené au m² construit, cela correspond à environ 1.500 euros par m²[3] auxquels il faut sans doute ajouter le prix de foncier (acheté à un prix très élevé[4], on parle de 20 millions d’euros !) ainsi que les intérêts intercalaires, mais qui permettent tout de même au promoteur d’espérer un bénéfice de l’ordre 30 à 50% de son investissement initial.

De plus, on le sait, le promoteur va revendre sa tour dans quelques années : « Ses profits, Atenor les réalise en vendant ses projets avant le terme des travaux de construction (qui prennent entre 3 et 5 ans). Il réalise aussi des plus-values par tranche, en fonction de l’état d’avancement des travaux et du niveau de pré-location des immeubles. » [5] Le promoteur n’a donc aucun intérêt à ce que son produit s’intègre bien à terme au quartier environnant, il vend sur plan et emballe son projet d’un dispositif marketing trompeur pour parvenir à ses fins.

Pour réserver l’exorbitant bénéfice du promoteur, le résumé non technique de l’étude d’incidences (le seul document réellement accessible aux habitants) joue de ficelles bien peu subtiles telle que l’agrégation des chiffres ou les affirmations péremptoires sans justifications.

Ainsi, en matière de performances énergétiques, l’étude annonce une performance globale de 5.500 MWh/an. Un chiffre qui ne veut rien dire s’il n’est ramené à une consommation au m². Le projet prévoyant environ 80.000 m² construits, le lecteur curieux constatera, oh stupeur, une consommation bien gourmande de 68 kWh/m²/an, soit plus du double du standard basse énergie et plus de quatre fois le standard passif. Le cynisme de l’auteur de l’étude touche à son paroxysme quand il affirme que la tour fera mieux que 75% du bâti bruxellois existant...[6] Quand on sait que le standard passif sera imposé à tout nouveau bâtiment à partir de 2015, les caractéristiques énergétiques de la tour Premium sont dépassées avant même qu’elle ne soit construite !

Autre ombre au tableau : les vortex (vents tourbillonnants induits par la tour) sont étudiés par l’institut Von Karman, spécialiste en la matière. A ce propos, l’auteur de l’étude affirme avoir suivi toutes les recommandations de Von Karman. Ce qui ne veut nullement dire qu’il n’y aura pas de vents tourbillonnants pour autant. La preuve en est que des dispositifs de protection contre le vent sont prévus au pied de la tour. L’effet de ces dispositifs a-t-il été objectivé, quelle est l’importance des vents résiduels ? Aucune trace de ces informations dans le document mis à la disposition de la population...

Enfin, le résumé non technique de l’étude d’incidences est également partiel en matière de mobilité. Jamais ne sont sérieusement remises en question les plus de 700 places de parking prévues d’un projet pourtant proche de la gare du Nord et d’une station de métro. Et ce ne sont pas quelques places de parking vélo supplémentaire qui changeront quoi que ce soit à l’esprit du projet. Sur des panneaux installés sur le site, le promoteur vante les mérites de son projet, notamment une mobilité plus durable : à part l’implantation durable de voitures dans un quartier qui frôle déjà la saturation aux heures de pointe, nous ne voyons pas vraiment où se trouve la mobilité durable dans ce projet...

La tour Premium : une gated community verticale ![7]

Le phénomène a pris de l’ampleur dans les années 80 aux Etats-Unis. Le principe de la « gated community » est d’offrir à une population homogène à revenus élevés un environnement de qualité qui combine les caractéristiques de la sécurité et de l’exclusivité.

La tour Premium tente de rassembler ces caractéristiques. La plus haute tour de logements de Bruxelles, des appartements (dits) de luxe, une piscine et une salle de bien-être, un jardin intérieur privé, des commerces et une kids factory (sic), le tout entièrement sécurisé et minimisant au maximum les liaisons avec le quartier.

La communication d’Atenor est à cet égard sans ambiguïté : l’enveloppe marketing du projet est édifiante : « la plus haute tour de logement de Belgique » , « une vue imprenable sur la ville » , « un ensemble de services de grand luxe tels que conciergerie VIP, piscine, centre de Spa & Wellness, salle de cinéma privative, restaurants, espace ludique pour les enfants,... » , une « conception architecturale emblématique » , etc...

La communication est au cœur du projet d’Atenor, qui n’hésite pas à travestir la réalité quand c’est nécessaire. Ainsi, pour rappel, cette luxueuse tour destinée à un public d’exception présente des caractéristiques énergétiques nettement inférieures aux projets publics de logements moyens de la SDRB ou même de logements sociaux en cours de construction.

L’étude d’incidences confirme, elle, l’obsession sécuritaire du promoteur. Toute ouverture de la tour va à l’encontre de l’intention du promoteur : « cette alternative ne répond pas du tout aux objectifs de base du demandeur ; en effet, ce dernier a prévu une tour de logements présentant un certain niveau de sécurité qui serait fortement mis à mal par la réalisation d’une telle alternative. » (Résumé non technique de l’étude d’incidences du projet Premium p.51)

Qu’est-ce que ce projet qui nécessite un niveau de sécurité digne de l’OTAN ou des institutions européennes sinon un projet coup de poing dont la violence symbolique est à même d’entretenir le sentiment d’abandon, voire d’exclusion générale dans les quartiers populaires avoisinants.

Un cheval de Troie qui ne s’arrêtera pas en si bon chemin

Si les riverains du site n’ont nul besoin d’un ghetto de riches dans un quartier historiquement habité par les classes populaires et tourné essentiellement vers les activités portuaires et productives, c’est toute la Région qui devrait s’interroger sur le cheval de Troie que constituerait l’érection d’une tour de 140 mètres à cet endroit. Et ceci pour deux raisons : non seulement la tour Premium légitimera à court terme d’autres tours (et toutes leurs nuisances) le long du canal (on en annonce deux à la porte de Ninove, une à la place Sainctelette,...) mais elle condamne aussi à terme les commerces liés à la construction et au bâtiment ainsi que la fonction portuaire au delà du pont des Armateurs.

Un accord politique fut en son temps négocié pour que la fonction portuaire et ses activités productives soient préservées au delà du pont des Armateurs. Cet accord, pour rester applicable nécessite de gérer graduellement la transition entre la ville habitée et la zone portuaire. Sinon, la ville continuera à s’étendre, menaçant des fonctions productives essentielles à celle-ci (à quand la pression exercée par les nouveaux occupants sur la tour de la cimenterie située juste en face ?) et condamnant les quais nécessaires au seul transport de marchandises qu’il convient de préserver à long terme : celui par la voie d’eau.

Un(e) tour de passe-passe déconnecté des vrais défis de Bruxelles

A la lecture de la demande de permis et de l’étude d’incidences qui l’accompagne, il est bien difficile de trouver un seul argument valable qui plaide en faveur de la construction d’une tour à cet endroit.

Des considérations comme la nécessité de poser un geste architectural fort et d’offrir un repère dans la ville sont bien faibles face aux inconvénients que constitue l’implantation d’une tour de 41 étages en bordure du canal. On l’a vu : ghetto sécurisé au milieu d’un quartier industriel et populaire, problèmes de mobilité, vents violents, performances énergétiques médiocres, surface utile décroissant avec le nombre d’étages, etc.

Mais il est une autre question à laquelle il conviendrait de répondre avant de délivrer un quelconque permis : qui va occuper la tour ? Pour ce qui concerne les logements, le promoteur espère un public nanti. Pourtant, les statistiques des démographes sont formelles :

  • les classes moyennes quittent Bruxelles pour la périphérie car les prix du logement à Bruxelles sont trop élevés ;
  • l’augmentation de la population est principalement liée à la natalité dynamique constatée dans les quartiers populaires et à l’installation d’un public international très peu contributif à l’impôt ;
  • le grand défi de la Région, c’est de répondre à une crise du logement sans précédents qui concerne principalement les Bruxellois aux revenus les plus modestes (quand ils en ont un).
    Sans compter que le projet prévoit quelque 30.000m² de bureaux, déjà paraît-il loués à 50%. Avec près de deux millions de m² de bureaux vides à Bruxelles et un marché plus que saturé, cet apport de nouveaux bureaux ne fera que libérer des bureaux ailleurs dans la Région bruxelloise, alimentant un fléau qui pourrit la ville tant et plus.

Quel est donc l’intérêt des pouvoirs publics à soutenir aussi aveuglément un projet de cet acabit ? La réponse serait-elle à trouver dans les plantureux revenus pour la Ville de Bruxelles annoncés par l’auteur de l’étude d’incidences[8] ? Nous invitons la Ville à objectiver ces revenus et à les mettre en regard des vrais enjeux de notre société d’une part et du bénéfice engrangé par le promoteur d’autre part...

Conclusions

Il faut rejeter sans conditions le projet du promoteur Atenor car :

  • les principes élémentaires de la démocratie urbaine n’ont pas été respectés,
  • l’étude d’incidences a été faite uniquement à décharge,
  • l’emballage marketing du projet est mensonger,
  • les intérêts de la collectivité ne sont pas ceux du projet Premium,
  • Bruxelles a prioritairement besoin de logements accessibles aux revenus les plus faibles,
  • Bruxelles n’a plus besoin de bureaux,
  • il faut préserver la fonction portuaire et les activités productives au bord du canal.

Contacts
- Mathieu Sonck, 0478/203 578.
- Pierre Meynaert, 02/893 09 15.



[1] Cet avis a été rédigé après consultation du résumé non technique (50 pages) de l’étude d’incidence (800 pages) qui est évidemment impossible à analyser pour un habitant dans les délais autorisés pour l’enquête publique.
[2] Une hauteur minimum imposée par le PPAS, preuve que celui-ci a été pensé sur mesure pour le promoteur !
[3] Une relative contre-performance liée principalement aux surcoûts engendrés par la hauteur du bâtiment. L’étude d’incidences du projet de Tour et Taxis nous a récemment appris que le surcoût d’une tour de 30 étages est de l’ordre de 30%.
[4] Ce qui explique le lobbying intense du promoteur pour pouvoir construire le plus haut possible.
[5] Trends-Tendance, 30/1/2008.
[6] Quand on sait que la Belgique est lanterne rouge avec la Grèce en matière d’isolation des bâtiments, l’argument laisse rêveur...
[7] Qui s’ajoute à d’autres existantes à Bruxelles : l’îlot Chartreux ou le « Clos des milliardaires » , voir DECROLY J.-M. et ROUYET Y. (2000), « La féodalisation de la ville (II) : les clos privés à Bruxelles » . Les cahiers de l’urbanisme, 32, pp. 31-38.
[8] L’auteur ne rentre pas dans le détail du type de profits que pourrait tirer la commune du projet. Pense-t-il aux taxes sur les bureaux ? A l’IPP ?