Inter-Environnement Bruxelles
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Agglomérer, une anatomie de l’extension bruxelloise (1828-1915)

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Comment s’est construite la ville de Bruxelles dans la période d’extension allant de 1928 à 1915 ? Pour Bénédikte Zitouni, pas question d’invoquer de grandes causes extérieures abstraites pour en découdre avec les rouages de l’agrandissement de la ville.

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Si on fait appel à une cause, il faut montrer comment elle affecte, par où elle passe, et où on peut en trouver une trace. S’ensuit le récit presque policier d’une véritable enquête dans les archives du service de la voirie. On plonge ainsi au cœur des mécanismes de l’agrandissement de Bruxelles.

Ainsi, nous apprendrons comment les plans, traces, les pointillés d’alignement, servaient de cadre à la négociation de l’agrandissement de Bruxelles, et comment ces facteurs matériels ont eu une puissance d’agir importante. La logique propre du service de la voirie de l’époque réussit à canaliser et à « faire faire » la ville autrement.

L’ouvrage de B. Zitouni nous emmène de l’histoire à la philosophie, proposant dans ses analyses des concepts qui ont mené les acteurs de cette époque à faire la ville de cette manière. Il ne s’agit néanmoins pas d’un « livre d’histoire » au sens usuel de ces termes. Le parti pris sur la manière de regarder la ville, à partir du service de la voirie et pas d’en haut, est un choix à la fois méthodologique, philosophique, et aussi politique. Privilégiant une analyse des dynamiques foncières, le texte nous montrera la force des règlementations urbanistiques, comment ces quelques règles ont réussi à canaliser les actes et les volontés de chacun. La logique administrative en place à l’époque engage plus que de simples règles différentes, voilà le choix philosophique majeur de l’ouvrage. Le type de logique implique un rapport à l’espace et au temps différent de celui qui nous occupe aujourd’hui.

Une belle démonstration du pouvoir que peuvent avoir, sur le long terme, les décisions juridiques de l’administration. L’analyse du rôle stratégique de l’urbanisation et de la puissance que peut avoir le politique sur la croissance d’une ville nous libère, enfin, des images « biologiques » de la ville qui font penser qu’une ville, cela peut être un phénomène naturel. Dans cet ouvrage, la ville ne grandit pas toute seule, elle n’est pas le résultat de logiques intouchables, elle est faite, construite, produite par des acteurs précis, des décisions politiques. Le type de décisions « microscopiques » à l’œuvre dans l’administration infléchit les villes, et Bruno Latour, auteur de la postface, ne s’y trompe pas lorsqu’il écrit que « ce qui compte en effet pour l’auteure, ce n’est pas qu’un élément soit petit ou grand, mais le type de connexion qui infléchit le parcours d’un élément de taille quelconque ». Cette attention à la logique en place dans les décisions, cette radicale obstination à ne pas tout expliquer par des grandes causes, nous en aurions bien besoin aujourd’hui dans les luttes urbaines qui nous occupent.

Nicolas Prignot

B. Zitouni, Agglomérer, une anatomie de l’extension bruxelloise (1828-1915), VUB Press, Bruxelles, 2010, 331p.