Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Adoption du PPAS Pacheco : un cas d’école

Thierry Kuyken – 5 décembre 2013

Adopté en juin 2013 par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, le PPAS Pacheco n’est pas conforme au PRAS. Les irrégularités et les engagements non respectés par les différentes parties impliquées dans ce dossier sont tels qu’Inter-Environnement Bruxelles, le Comité Notre Dame-aux-Neiges et l’Arau, associés à quelques riverains, ont pensé introduire un recours au Conseil d’État contre cette adoption. Analyse d’une situation complexe, fruit des arrangements passés et des occasions manquées.

La Cité Administrative : une histoire au long cours

Imaginée dès la fin des années 1930 par l’État Fédéral dans une vision purement fonctionnaliste et moderniste de centralisation de tous ses services, la réalisation de la Cité Administrative de l’État sera approuvée en 1955 dans la foulée des travaux de la jonction Nord-Midi. L’ensemble de ces réalisations va justifier à l’époque l’expropriation et le délogement des bas-fonds de Bruxelles, quartiers populaires situés en contrebas de la Colonne du Congrès.

La construction de la Cité Administrative de l’État à proprement parler s’étale de 1958 à 1983. La profonde modification des besoins et de l’organisation du travail durant cette période ainsi que la fédéralisation de l’État belge vont très rapidement rendre ce projet obsolète. L’ensemble ne sera d’ailleurs jamais tout à fait occupé et sera même totalement vidé début 2000. Au final, la Cité Administrative de l’État n’aura créé que du vide et laissé une trace majeure dans le tissu urbain bruxellois ainsi que dans nos mémoires.

Une occasion manquée de retisser la ville...

Le départ des services étatiques offrent en 2000 l’occasion de recréer du lien entre le haut et le bas de la ville, de réinsuffler de la vie sur le site, de rendre les lieux aux Bruxellois en y mettant du logement, des équipements et toutes sortes d’activités qui correspondent aux besoins des habitants. Le fait qu’en outre les lieux sont propriétés de l’État offre l’occasion d’y réaliser du logement accessible aux ménages les plus précarisés, ceux qui justement ont été chassés 50 ans plus tôt et ont le plus pâti de la destruction de ces quartiers anciens. Une occasion en or en somme de réparer les erreurs du passé.

Au lieu de cela, la Régie des Bâtiments (Fédéral) va décider de vendre le site, éventuellement par morceaux. La messe est dite, une nouvelle fois, les pouvoirs publics perdront la maîtrise d’un foncier pourtant essentiel au tissu urbain et aux habitants. En 2001, la Tour des Finances sera cédée à un promoteur privé : Breevast. Elle sera rénovée en 2006 et une série d’extensions seront alors construites sur le socle de la tour ainsi que le long de la rue Royale. Le tout sera reloué... à l’État ! Pour l’anecdote, la vente de l’immeuble serait entachée d’irrégularités et un procès est d’ailleurs toujours en cours.

En 2001, le gouvernement bruxellois adopte le PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol) qui attribue au site (hors Tour des Finances) le statut de ZIR (Zone d’Intérêt Régional) et fixe le programme à remplir, à savoir principalement une mixité de fonctions avec pour contrainte la réalisation d’un minimum de 35 % de superficie de logement sur l’ensemble des surfaces.

... et de créer du logement accessible

Le reste du site est vendu en 2003 au même promoteur. Breevast obtient à l’époque (via les closes du contrat de vente) la garantie de pouvoir réaliser au minimum 70 000 m² de bureaux sur cette partie du site. Ce principe sera entériné à la demande du vendeur (l’État fédéral) par un accord du gouvernement bruxellois.

La loi des coups partis

Il s’agit là du premier coup parti de ce dossier. Breevast obtient via une clause dans un contrat de nature privée (la vente d’un terrain) avec les pouvoirs publics, la garantie de pouvoir réaliser un projet sur mesure ! Ce genre de pratique est évidemment fréquent et permet à un acheteur d’avoir la garantie de pouvoir réaliser son projet sans quoi la vente est annulée. L’idée qui est derrière est bien sûr que la valeur du bien vendu est fortement liée à la nature du projet qui pourrait y voir le jour. Le problème dans le cas présent est que les pouvoirs publics sont ici à la fois juges et parties. L’État Fédéral a vendu le site en acceptant une clause dans le contrat de vente et s’est ensuite débrouillé pour faire entériner cette demande par un accord du gouvernement régional et ce bien avant que toute demande de permis n’ait été introduite, ou que la procédure normale de publicité concertation n’ait pu avoir lieu.

En 2006, le gouvernement approuve le schéma directeur « Cité Administrative – Botanique », mais celui-ci n’a aucune valeur légale, même s’il fixe les grandes lignes du développement souhaité pour le site. En 2007, un premier arrêté du gouvernement traduit les intentions du schéma directeur et fixe les bases pour l’élaboration d’un PPAS par la Ville de Bruxelles. Si celui-ci reprend une série d’éléments présents dans le schéma directeur, il reprend également les éléments de l’accord entre l’État Belge et Breevast pour la réalisation des 70 000 m² de bureaux, alors qu’il s’agit là d’un facteur déterminant pour l’avenir du site et sans que cette orientation n’ait pu faire l’objet du moindre débat démocratique.

En 2009, la Ville de Bruxelles enfonce le clou et donnera son accord pour le deuxième coup parti. Alors que le PPAS est toujours en cours d’élaboration, le promoteur introduit déjà deux demandes de permis (respectivement pour deux bâtiments du site à rénover). Un permis sera octroyé pour un bâtiment de 58 700 m² de bureau, 7 300 m² d’équipements et 120 m² de commerces, et un autre permis sera octroyé pour un bâtiment de 9 800 m² de bureau, de 7 200 m² de logements et de 500 m² de commerces. Avec ces permis, le promoteur obtiendra la quasi-totalité des superficies de bureau qui lui ont été promises en 2003.

Le Comité Notre-Dame-aux Neiges, IEB et l’Arau critiqueront vivement les permis octroyés et mettent à l’époque les pouvoirs publics en garde contre la trop grande densification du site qui paraît inéluctable dès lors que ces permis sont accordés et que les exigences du PRAS (35% de logements) doivent être remplies. Malheureusement, les associations ne disposent pas à l’époque de l’ensemble des informations qui permettent d’objectiver leur position et ne pousseront pas le dossier jusqu’au Conseil d’État.

Néanmoins, suite aux remarques que nous avons émises en commission de concertation, le gouvernement adopte un second arrêté toujours en 2009 qui précise les intentions du premier et vise à corriger et entérine le fait que le socle et les extensions de la Tour des Finances doivent être pris en compte dans le calcul du pourcentage de logements à atteindre dans la ZIR ce qui n’était pas suffisamment clair jusque-là.

L’impasse

En 2010, une première version de PPAS est soumise à l’enquête publique. Pour pallier le problème de densité annoncé, la Ville de Bruxelles, auteur du projet, propose la réalisation d’une tour de plus de 100 mètres de haut au bord de la dalle, tour qui viendrait écraser le jardin Pechère et boucher la vue sur les panoramas de la ville. Ce projet ne respectait ni le schéma directeur (qui prévoit à cet endroit un bâtiment d’un seul étage, et le passage d’une promenade verte !), ni l’arrêté du gouvernement qui garanti la préservation des vues depuis la Colonne du Congrès. Le PPAS est logiquement rejeté.

Suivront deux années d’errance, d’hésitations et de désaccords entre Ville de Bruxelles et Région. En 2012, une deuxième mouture de PPAS est présentée. Légèrement moins dense que la première, elle augmente l’emprise au sol et diminue les gabarits. Elle n’évite pas les écueils du projet de PPAS de 2010, mais les différents acteurs impliqués semblent résignés. Et pour cause, les permis déjà délivrés et l’accord pour la réalisation de telles superficies de bureau sur le site, rendent tout projet malin et utile pour la ville et ses habitants tout bonnement impossible. Le PPAS version 2 est adopté début juin 2013.

Un PPAS non conforme au PRAS

Au-delà du caractère médiocre du résultat obtenu et de l’occasion manquée d’un projet positif pour le quartier et pour l’ensemble des Bruxellois qui sont en demande d’un logement de qualité et abordable, le PPAS tel qu’adopté aujourd’hui se trouve être en infraction avec le PRAS. Il ne répond pas non plus aux exigences établies dans le cadre des arrêtés du gouvernement de 2007 et de 2009 et ce sur au moins trois points.

Premièrement, l’arrêté de 2007, prévoyait clairement la préservation des vues depuis la Colonne du Congrès ainsi que depuis l’esplanade vers la basilique et vers la ville basse. Selon l’aveu de l’auteur du PPAS lui-même, ces vues seront partiellement bouchées par le projet adopté. De plus, ce même arrêté prévoyait la réalisation d’une implantation symétrique par rapport à l’ouverture actuelle depuis la Colonne du Congrès, chose qui une nouvelle fois n’est pas du tout respectée au final.

Deuxièmement, le PPAS ne permettra pas de garantir la réalisation du minimum de 35% de logements prévus par le PRAS. Les superficies de bureaux autorisées impliquent la réalisation d’un ensemble beaucoup trop dense et aux gabarits trop élevés pour atteindre cet objectif. Le PPAS finalement adopté est le fruit d’un compromis doublé d’un numéro d’illusionnisme.

D’une part, la densité finalement autorisée sur le site engendre le non-respect des vues historiques sur le bas de la ville comme souligné ci avant (ce qui montre à quel point tout est lié). D’autre part, comme malgré tout il manquait encore au minimum 6 000 m² de logements, le PPAS a prévu la réalisation de ceux-ci au sein du périmètre de la ZIR, mais en dehors du site de l’ancienne Cité Administrative de l’État, dans des immeubles situés le long de la rue Royale. Le problème est que ces immeubles n’appartiennent pas à Breevast, mais à une série de plus petits propriétaires. Ils sont actuellement tous occupés et sont en grande partie affectés en... bureaux. Les propriétaires de ces bâtiments bénéficient de droits acquis par l’intermédiaire des permis qui leur ont été délivrés pour certains assez récemment d’ailleurs. Rien ne peut donc garantir qu’un jour, certains d’entre eux soient transformés en logement comme le prétend le PPAS.

Troisièmement, l’arrêté du gouvernement de 2007 imposait déjà la simultanéité dans la réalisation des programmes de logements et de bureaux, ceci afin de garantir la réalisation effectivement des logements. Or, seuls les permis bureaux ont été demandés et délivrés en 2009. Les logements eux ont été mis au frigo pour un temps... ou pour toujours.

On le voit, les pouvoirs publics se font rouler dans la farine et sont simplement incapables de faire respecter la moindre concession qu’ils obtiennent dans ce genre d’accord à sens unique.

Un recours qui ne servirait à rien…

Les associations et habitants qui, depuis 2009, mettent en garde les pouvoirs publics contre les décisions qu’ils prennent n’auront pas été entendus. A aucun moment même, la moindre concession vis-à-vis de nos revendications n’aura été faite. L’envie d’introduire un recours contre l’adoption du PPAS Pacheco était donc bien présente et plus que légitime.

Le problème est que nous avons probablement raté le coche en 2009, lors de la délivrance du permis pour les bureaux. Il faut dire qu’à cette époque nous ne disposions pas de toutes les données dont nous disposons aujourd’hui et qui sont le fruit de l’étude d’incidences réalisée dans le cadre de l’élaboration du PPAS. Les pronostics que nous avons faits en 2009 en termes de densité se sont révélés corrects, mais nous ne disposions pas à ce moment des données objectives permettant de le démontrer.

Ceci illustre à souhait le caractère anti-démocratique de la planification urbaine telle qu’elle est régulièrement pratiquée de nos jours dans ce genre de dossier. Qu’il s’agisse du saucissonnage des projets ou de la politique des coups partis négociés en amont de toute procédure entre promoteurs et autorités publiques, le citoyen n’est informé qu’une fois les décisions prises et entérinées.

Pour ce qui concerne le PPAS Pacheco, nous sommes arrivés à la conclusion que l’introduction d’un recours aujourd’hui ne servirait à rien, ou en tout cas ne servirait pas notre cause. Tout au plus obtiendrions-nous un retour à la case départ, celle d’avant l’adoption du PPAS, mais pas la remise en question des deux permis déjà délivrés pour les immeubles de bureaux. Or, ce sont eux qui constituent la véritable entrave à un projet positif pour le site qui puisse retisser les liens perdus entre les quartiers et offrir aux Bruxellois ce dont ils ont le plus besoin : des logements accessibles et des équipements (écoles, crèches,…) en nombre et en qualité.