Profiter des vacances pour faire passer des mesures qui fâchent ou sont susceptibles de provoquer les tensions est une technique bien connue.
En cette année 2016, nous célébrons le 80e anniversaire de la première loi sur les congés payés en Belgique. Conserver son salaire sans devoir travailler, avoir accès à une semaine de loisirs loin du turbin, partir en voyage familial, découvrir quelque nouvel horizon, ou simplement se reposer « pour éviter l’usure des organismes »... voilà quelques-unes des possibilités nouvelles qui s’ouvraient à de nombreux ouvriers belges. Obtenue à la suite de mouvements de grève partis des docks d’Anvers, la mesure fut complétée dans les années 37-38 puis au sortir de la guerre et tout au long de la seconde moitié du 20e siècle, portant progressivement le temps des congés à deux (1952), trois (1967) puis quatre semaines (1975). Aujourd’hui, le droit « aux vacances annuelles » est bien établi pour toutes les catégories de travailleurs ; il a été inscrit dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme (art. 24) en 1948.
L’été venu, les villes de nos régions se vident ainsi de leurs habitants, les embouteillages quotidiens se dissolvent pour se reporter dans les aéroports ou sur « les autoroutes des vacances » durant les week-ends de transhumance, les administrations tournent au ralenti, les messages d’absence encombrent les boîtes mails... La césure du temps, la suspension des rythmes est une donnée devenue quasi culturelle, bien incorporée dans nos organismes, qui résiste encore aux assauts de la flexibilisation des travailleurs et en dépit de la difficulté grandissante qui nous est faite de pouvoir « déconnecter ».
Ce temps où les organismes se laissent aller à des activités plus ou moins ressourçantes, en tout cas « autres », parfois loin d’ici, est également bien intégré aux calendriers des mesures difficiles. Profiter des vacances pour faire passer des mesures qui fâchent ou sont susceptibles de provoquer les tensions est une technique bien connue tant dans le monde politique que dans les entreprises ou les institutions, où les « patrons » mettent leur calendrier à l’abri des revendications. Le récent dépôt, en pleines vacances, du projet de loi sur le flexibilisation du temps de travail (« Loi Peeters ») illustre notre propos à merveille. Il se glisse parfaitement dans la faille de plus en plus béante entre la suspension du temps de travail gagnée en 1936 (congés payés) et sa remise en cause répétée depuis quelques années au nom de la flexibilisation, ou de l’allongement des carrières,... éviter l’usure des organismes n’est décidément plus à l’ordre du jour.
L’actualité des grands projets bruxellois semble également bien en phase avec cette pratique. Le nombre d’enquêtes publiques qui se déroulent en grande partie, voire totalement, durant les « vacances » ne peut être ramené à un « hasard » de calendrier. Dans le projet Neo (plateau Heysel), le nouveau dossier (600 pages) intégrant un nouveau rapport d’incidences rédigé par la Région à la suite de l’annulation du premier projet de modification du PRAS par le Conseil d’État est à l’enquête publique jusqu’au 31 juillet... une bonne lecture estivale ! [1] À Tour et Taxis, après des années d’élaboration, le nouveau PPAS fruit des négociations entre le promoteur, la Ville de Bruxelles et la Région (mais sans les comités de quartier) arrive à l’enquête publique en pleines vacances d’été, malgré la demande expresse de reporter l’enquête. Celle-ci aura donc lieu du 18 août au 16 septembre. Le projet de maxi-prison à Haren a subi le même sort : l’enquête publique sur le cahier des charges s’est tenue début juillet 2014, l’enquête sur le permis d’environnement et d’urbanisme se déroulait en plein milieu des vacances de Pâques 2015, le permis d’environnement a été délivré le 26 juin 2015 et nous sommes dans l’attente de l’avis de la dernière Commission de concertation qui doit tomber d’ici fin juillet pour être dans les délais.
Et IEB de se demander : à quand les « vacances », la suspension des enquêtes publiques par exemple, pour les habitant-e-s soucieux/ soucieuses du devenir de leur ville ? À moins que, pour donner le change, nous n’allions tous camper, nous ressourcer... et dormir sur le site du Heysel, à Tour et Taxis ou à Haren ?
[1] Mais nous vous en conseillons aussi une autre : « 24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil » de Jonathan Crary.