2019 est une année charnière entre deux législatures : Céline Frémault (CdH, parti rebaptisé depuis « Les Engagés ») s’en va et Alain Maron (Ecolo) hérite de l’épineux dossier du déploiement de la 5G en région bruxelloise. Les industriels des technologies de communication et les opérateurs de téléphonie mobile trépignent ; la société civile, belge et étrangère, dont de nombreuses associations, des académiques et des scientifiques exigent en revanche un moratoire. La mise en place d’une « commission délibérative citoyenne » sur la 5G offre une porte de sortie au gouvernement bruxellois. Une caution démocratique qu’IEB dénoncera.
Remontons à la mi-juillet 2018. Le gouvernement Vervoort signait (en plein été) un protocole d’accord (une feuille de route) avec les 3 opérateurs de téléphonie mobile (Telenet, Proximus et Orange) actifs sur le territoire pour un déploiement pionnier de la 5G à Bruxelles... au plus tard en 2020. Une décision qui plaçait Bruxelles sur la ligne de départ de cette « course que tout le monde devrait gagner » et permettait de rassurer investisseurs et opérateurs sur l’horaire d’arrivée en gare du train du progrès [1].
Dans la foulée, au début de l’automne 2018, la ministre bruxelloise de l’environnement, Céline Frémault (CdH), annonçait un nouvel assouplissement de la norme pour permettre le déploiement de la 5G, taillant un costume ajusté aux opérateurs sur base des recommandations techniques (et non sanitaires) de l’IBPT (le régulateur fédéral) : « L’IBPT déconseille fortement une limite cumulative qui serait inférieure à 14,5 V/m pour une fréquence de 900 MHz. Une limite conservative de 14,5 V/m devrait seulement permettre un début de déploiement minimal de la 5G à Bruxelles dans des conditions relativement similaires aux conditions de déploiement de la 4G ces dernières années, dont on a pu constater qu’elles sont insuffisantes. De plus la limite de 14,5 V/m constitue un seuil qui devra rapidement être revu à la hausse étant donné que ce seuil imposera une limitation à l’évolution actuelle en matière de consommation de données, ce qui entraînera une congestion au niveau de l’accès radioélectrique au réseau plus rapidement qu’à d’autres endroits. C’est pourquoi l’IBPT propose d’adopter la norme au-dessus de 14,5 V/m et jusqu’à 41,5 V/m. Plus on se rapproche de la norme européenne, plus cela garantira la capacité et la qualité des réseaux mobiles, et cela assurera donc également l’expérience de l’utilisateur pour les clients finals. Cela nous permettra de faire partie de la tête du peloton européen concernant le déploiement de réseaux 5G. » [2]
Dans le même temps, face aux levées de boucliers de la société civile et aux appels de la communauté scientifique internationale quant aux impacts sociétaux, sanitaires et environnementaux de la 5G, la Ministre CdH se veut rassurante et promet des balises... Tout en déclarant au journal L’Echo du 29 mars 2019 que « les Bruxellois ne sont pas des souris de laboratoire », elle annonce que « par précaution, le seuil minimum pour que la 5G puisse se développer est envisagé : 14,5 V/m en extérieur et encore plus stricte avec 9 V/m en intérieur. La norme reste beaucoup plus stricte que ce que préconise l’OMS (20 x pour la norme intérieure). La norme bruxelloise reste la norme la plus protectrice de Belgique. Les ondes TV et Radio qui échappaient jusque-là à tout contrôle sont intégrées dans la norme et dans les contrôles qui seront opérés pour assurer une bonne protection des riverains. L’effectivité de la norme est conditionnée par l’arrivée de la technologie 5G, à savoir, à l’horizon 2020. Actuellement donc, rien ne changera et on se donne du temps pour mettre en œuvre toutes les balises environnementales nécessaires : un avis du Comité d’experts sur les aspects santé, environnement et économique et techniques sera demandé au préalable ; une concertation effective sera organisée à l’échelle régionale ; une vision partagée devra être conclue entre les opérateurs de mobilophonie et le gouvernement sur les aspects environnementaux, sociaux, technologiques, économiques et en matière d’emploi ; une charte environnementale contraignante liera les opérateurs ; la situation des électro-sensibles sera prise en considération. Il suit de cette démarche adoptée par le gouvernement que le principe de précaution guidera toujours notre dynamique à l’introduction de la 5G pour que Bruxelles puisse devenir une smart city au bénéfice et non au préjudice des citoyens. » [3]
Un argumentaire rodé depuis l’avènement de la 4G : le progrès technique et l’attractivité économique de Bruxelles, son statut international, ont toujours eu raison, de génération de téléphonie mobile en génération de téléphonie mobile, de la liberté et de la santé des citoyen.nes. Consultez le dossier Ondes électromagnétiques et (re)plongez-vous dans cette histoire palpitante du progrès technologique et du « business as usual ». Une belle centaine d’articles vous permettent de remonter le fil chronologique du muselage de la contestation.
Dès l’ouverture de la législature 2019-2024, un vaste chantier, porté par le groupe Écolo (monté dans tous les gouvernements : wallon, bruxellois et Communauté française) et soutenu par Groen, s’engage à mettre effectivement en place « des espaces de dialogue direct et formalisé » entre représenté·e·s et représentant·e·s. Partant du constat que « de nombreux·ses citoyen·ne·s reprochent aux institutions leur dépendance aux cycles électoraux », la mise sur pied de ces commissions mixtes délibératives au sein des Assemblées bruxelloises est censée tout à la fois combler ce fossé et restaurer la confiance envers les élus et leur légitimité démocratique. Des citoyen·ne·s tiré·e·s au sort y sont invité·e·s à accompagner ou à inciter le travail des parlementaires. L’enjeu annoncé est d’endiguer le désenchantement envers la démocratie représentative.
La première commission délibérative bruxelloise fait suite à une proposition portée par plusieurs groupes politiques du Parlement de la Région sur le thème de la 5G. En parallèle émerge également une suggestion citoyenne signée par 1 431 citoyen·n·es, qui porte sur la question de la mise à disposition des logements vides au profit des personnes sans-abri de la Région. Elle n’ouvrira pourtant pas le grand bal de ce nouveau dispositif. Gouvernement et Parlement bruxellois s’enferrent plutôt dans l’adoption des normes destinées au déploiement de la 5G : la « realpolitik » rattrape déjà les velléités démocratiques.
Le parlement décide donc de consulter les citoyen·ne·s sur la 5G « avant qu’il ne soit trop tard pour que cette implication de citoyens dans le processus décisionnel puisse influencer la rédaction du futur cadre légal régional » [4]. Un choix stratégique alors que le sujet occupe de nombreux collectifs, associations, chercheurs et médecins qui, prenant appui sur les pétitions signées par des milliers de personnes depuis 2018, exigent un moratoire sur la 5G et des études approfondies sur les effets environnementaux et sanitaires.
Comme IEB fait partie des associations contestataires sur ce dossier depuis plusieurs années, et au vu de son « importance dans le paysage associatif bruxellois », elle sera invitée, en tant que représentante de la société civile, à prendre la parole. Or, la question adressée aux membres de cette commission s’oppose à la volonté même d’IEB et de bien d’autres collectifs citoyens en Belgique et à l’international. Il nous est en effet demandé de déterminer « comment nous voulons que la 5G soit implantée en Région de Bruxelles-Capitale, en tenant compte de l’environnement, de la santé, de l’économie, de l’emploi et des aspects technologiques ».
Il est donc décidé que nous irons dire que nous n’en voulons pas de cette 5G. Nous serons sollicités par des personnes qui reçoivent le courrier envoyé aux 10 000 citoyen·ne·s tiré·e·s au sort, et qui font part de leur perplexité, leurs doutes ou leur énervement, ayant l’impression « que l’on se moque du monde », « que les politiques sont incapables de prendre leurs responsabilités », « que les dés sont pipés », « qu’on va les piéger »…
C’est d’ailleurs une des taches aveugles d’un tirage au sort : il invisibilise les opposants qui refusent de jouer le jeu de ce « faux débat ». Combien se sont inscrits au second tour ? Le chiffre n’est pas annoncé. En tant qu’experte, IEB ne peut que dire son opposition au déploiement de la 5G afin de conserver sa capacité critique et contestataire. Un refus d’être assimilé aux recommandations qui seront prises et dont nul ne peut prédire la teneur.
Et de fait, dans la foulée du vote des recommandations, la presse francophone et flamande titrera que « la commission citoyenne donne son accord pour une augmentation des normes d’émissions ». Le président de la commission, Tristan Roberti (Ecolo), se déclare satisfait au micro de BX1. « Mission accomplie. Les recommandations sont très équilibrées. » Or, plusieurs parlementaires de l’opposition et de la majorité vont quitter leur réserve, contant à la presse la façon dont le vote sur les normes a eu lieu à coups d’amendements – ressorts subtils qui échappaient aux citoyens. Ces derniers préféraient ne pas préciser la norme, ne sachant pas ce qui était utilement nécessaire pour le déploiement de la 5G. « Le Parlement a toujours le dernier mot. C’est prévu par la Constitution. Le règlement intérieur stipule en effet que si le vote s’écarte de ce que les citoyens approuvent, cet écart doit être justifié. Ce que le Parlement a fait : pour des raisons de santé, il doit effectivement y avoir une norme d’exposition plafonnée. [5] »
L’enquête publique sur le Rapport d’incidences environnementales du projet d’ordonnance, qui entérine cette « décision démocratique », se déroule du 1er août au 30 septembre 2022. L’avis d’enquête confirme la mystification dont les citoyen·ne·s ont été les victimes. L’énoncé de l’enquête liste ce que la nouvelle ordonnance prévoit. Premier point : « adapter légèrement à la hausse les normes d’exposition aux ondes électromagnétiques afin de cadrer le déploiement de la 5G ». Lorsque la norme est multipliée par six, il ne nous semble pas que ce soit une augmentation « légère ». Au terme de la liste, on lit : « Ces modifications législatives font suite aux recommandations de la Commission délibérative citoyenne. » Or, l’étude réalisée par l’IBPT en septembre 2018 à la demande de la Ministre Céline Frémault, indiquait la norme qu’il faudrait adopter pour un déploiement de la 5G. C’est exactement celle qui fut adoptée par la Commission délibérative.
Bruxelles entre ainsi dans les clous plantés par l’Europe. En juin 2020, face aux nombreuses contestations citoyennes et sabotages d’antennes, le Conseil des ministres nationaux des télécommunications des États membres de l’Union européenne avait adopté les lignes directrices des lois et politiques qui guideront la numérisation de l’Europe. Le document de 24 pages, publié sous le titre « Façonner l’avenir numérique de l’Europe » fait l’apologie de la numérisation de nos sociétés qui a permis de « faire face à la crise sanitaire » et qui sera « un moteur essentiel de la relance économique, de la croissance verte et de l’autonomie stratégique de l’UE. » Le texte prévoit aussi la répression de celles et ceux qui s’opposeront désormais au déploiement de la 5G. « Le Conseil de l’Union européenne… souligne [alinéa 36] que, dans le contexte de la diffusion de nouvelles technologies telles que les 5G/6G, il est important de préserver la capacité des services répressifs, des services de sécurité et du pouvoir judiciaire à exercer efficacement leurs fonctions légitimes ; en tenant compte des lignes directrices internationales relatives aux effets des champs électromagnétiques sur la santé ; notant qu’il est important de lutter contre la diffusion de fausses informations sur les réseaux 5G, notamment en ce qui concerne les allégations selon lesquelles ce réseau représente une menace pour la santé ou qu’il est lié à COVID-19 ». En guise de contestation, poing levé, Maurizio Martucci, membre fondateur de Alleanza Italiana Stop 5G clamait sur les réseaux « Si les nombreux collectifs stop5G européens tremblent c’est de détermination à en découdre avec la techno-dictature légalisée déployant une chasse aux sorcières 2.0 ».
Chargée de mission
[1] Lire à ce sujet l’éditorial du numéro 296 du Bruxelles en mouvements (septembre-octobre 2018) qui esquisse les retombées économiques de la 5G : « 5G : l’exploitation sans travail (c’est la santé !) ».
[2] Institut belge des services postaux et des télécommunications. Étude du 12 septembre 2018 concernant l’impact des normes de rayonnement bruxelloises sur le déploiement des réseaux mobiles. En ligne.
[3] Stéphanie D’Haenens, « Pollution électromagnétique : les impasses d’une reconnaissance », étude publiée le 15 novembre 2018 par IEB, p. 6.
[4] Stéphanie D’Haenens, « Les commissions délibératives : fabrique de la caution démocratique », Bruxelles en Mouvements n°320, octobre 2022.
[5] S. VAN GARSSE, « De zin en onzin van een burgercommissie over 5G » bruzz.be, 15 juin 2021.