L’espace public physique, tel qu’il se manifeste dans l’aménagement de la ville et l’espace public mental, en tant que lieu du débat et de la participation à la vie politique de la Cité sont étroitement liés.
L’un et l’autre sont traversés des mêmes tensions, l’un et l’autre voient entrer en jeu les mêmes acteurs. Ils s’influencent mutuellement. Lorsque l’espace public physique est à ce point fragmenté et spécialisé qu’il empêche la rencontre, il porte atteinte à l’espace public mental. Lorsque les habitants sont éloignés de la prise de décision ou sont tenus à l’écart des débats sur les aménagements de la ville, celle-ci s’appauvrit. Au fil de ce dossier, nous verrons que les formes urbaines qui s’en dégagent en disent long sur la place accordée à l’habitant dans la ville.
Nous touchons là le cœur d’IEB, sans doute sa raison d’être. Durant les années 1950 et 60, à l’apogée du modernisme, Bruxelles faisait table rase de ses espaces publics, les sacrifiant sur l’autel du progrès et de l’automobile. Tout obstacle pouvant gêner la circulation ou entraver les flux était rasé. Ainsi disparaissaient à jamais les souvenirs de nombre de places, squares, monuments, arbres ou bâtiments exceptionnels. Peu à peu, Bruxelles s’est transformée en un désert d’asphalte et certains quartiers en espace mono-fonctionnel dont les habitants auront été méticuleusement chassés. Cette vision, imposée par l’État à sa capitale, a conduit à la révolte des habitants et à la naissance des comités de quartier. C’est bien en réaction à ce contexte qu’est née IEB.
Pas étonnant dès lors que la défense du cadre de vie et de l’habitat aient été parmi les principaux combats de notre fédération, au même titre que le droit pour les habitants d’être entendus dans les débats autour de l’aménagement de la ville. Avec l’avènement de la Région en 1989, Bruxelles était enfin en mesure de prendre en main son destin et de panser son tissu urbain. Assez rapidement, des politiques visant la revalorisation de l’espace public et de l’habitat ont été mises sur pieds, mais avec les travers que l’on connaît : une nouvelle forme d’exclusion de ceux qui s’étaient trouvés une place dans cette ville en souffrance, mais dont on ne veut décidément pas, comme s’il fallait, au-delà du bâti et au-delà de l’espace public, « renouveler » aussi ses habitants.
Par le prisme apparemment innocent du piéton en ballade, nous nous sommes demandés si les espaces publics qui ont toujours structuré la ville autour des espaces communs sont encore à partager avec les habitants ou s’il s’agit vraiment de les remplacer par ceux qui ne font que passer, la carte de crédit en main et le billet d’avion en poche. Le pigeon, quant à lui, semble avoir résolu l’équation : animal urbain par excellence, il est libre et circule à sa guise. Il s’envole lorsqu’on le chasse, fait le tour de la place et se pose à peine plus loin, pour ensuite revenir si ça lui convient...