En 2008, IEB est entrée dans une période de questionnements internes sur sa raison d’être, son fonctionnement, son rapport au pouvoir… Depuis une dizaine d’années, diverses mutations touchent alors la société et notre ville-région : une reprise démographique qui s’accélère, avec une crise du logement abordable qui commence à apparaître, une pression spéculative sur les territoires populaires, jusque-là plutôt délaissés, notamment le long du canal, une sociologie qui a évolué amenant notamment une dualisation sociale croissante et une plus grande diversité culturelle, des politiques publiques de plus en plus tournées vers l’attractivité territoriale [1], un changement dans les pratiques de militance urbaine avec l’apparition de collectifs plus éphémères à la place des comités de quartiers historiques…
IEB quant à elle sort d’une période durant laquelle elle a dû « sauver sa peau » financièrement, ce qui est notamment passé par l’exercice de missions de service confiées par les pouvoirs publics qui l’ont quelque peu éloignée de son feu contestataire hérité des luttes urbaines des années 1970. Alors, IEB est-elle toujours une fédération ? De qui, pour qui ? Quel est son rapport aux pouvoirs publics ? Est-elle un prestataire de services ? Un contre-pouvoir ? Un bureau d’études ? Comment doit-elle construire sa position collective sur la ville et ses enjeux ? Les politiques de rénovation urbaine qu’elle a portées à bout de bras ont-elles produit les effets voulus ? Comment articuler les questions sociales et environnementales au sein des luttes urbaines ? Comment entendre et défendre les quartiers qui n’ont pas de voix, ou dont les voix ne sont pas entendues ?…
Toutes ces questions de fond mènent également à se questionner sur les manières de travailler au sein d’IEB. Ne faut-il pas réinvestir le travail de terrain, particulièrement là où les comités de quartier sont peu présents ? Avec quels buts et moyens ? La nécessité de renforcer la transversalité au sein d’une équipe qui a peu à peu été divisée en « pôles » relativement déconnectés les uns des autres (urbanisme, mobilité, environnement), à l’image des administrations publiques, est pareillement mise en avant. Ainsi que le besoin de retrouver un lien plus direct entre les travailleuses et travailleurs et les membres du conseil d’administration, issus des comités qui composent l’assemblée générale. À cette aune, la trop grande centralité du ou de la Secrétaire Général·e, qui fait office de pivot à toute interaction, est aussi remis en question.
De 2008 à 2009, un groupe pilote, composé volontairement par une dizaine de personnes (membres du Conseil d’Administration, de l’équipe, et le Secrétaire Général Mathieu Sonck), réalise, avec l’aide de David Vercauteren, une recherche sur l’histoire et l’évolution de la structure à partir des différents rapports de force qui l’ont traversée. Un important travail est mené dans les archives et pas moins de vingt entretiens sont conduits avec celles et ceux qui ont fait IEB depuis 1973.
Une attention portée sur deux thématiques prégnantes et transversales dans la transformation que connait le territoire bruxellois, à savoir la gentrification et la densification.
À l’issue de cet important travail, le Secrétaire Général, avec l’appui du Conseil d’Administration (CA) et de son Président fraîchement élu, Gwenaël Breës (lui-même issu des « nouveaux » mouvements urbains), ainsi que d’une partie enthousiaste de l’équipe, ont la délicate mission d’entamer une « année expérimentale » qui doit explorer les voies de ce renouveau d’IEB. Le chemin s’avère parfois difficile et crée certaines tensions parmi les travailleurs et travailleuses, certain·es étant enthousiastes et poussant vers des changements, d’autres étant plus réservé·es ou inquiet·es face à certaines orientations prises ou face à la remise en cause des manières de travailler. Malgré cela, l’ « année expérimentale », qui s’étale de fin 2009 à mi-2011, abouti à l’adoption de plusieurs transformations qui forgent le renouveau d’IEB. D’abord une attention portée sur deux thématiques prégnantes et transversales dans la transformation que connait le territoire bruxellois, à savoir la gentrification (aux vertus de mixité louées par certains et aux conséquences d’exclusion et de dualisation sociale dénoncées par d’autres) et la densification (voulue par les chantres de la ville compacte et les promoteurs, mais crainte par les défenseurs des espaces verts), un CA ré-étoffé, la refonte de fond et de forme du journal Bruxelles en Mouvements, désormais doté d’un comité de rédaction élargi, la mise en place des Assemblées Associatives (AA) qui permettent de mener un travail de fond avec les membres et bien au-delà des assemblées générales, les prémices d’une approche plus transversale et davantage ancrée dans des terrains (notamment dans les quartiers populaires qui bordent le canal), la présence de travailleuses et travailleurs au CA et à l’inverse d’administrateurs ou administratrices dans les réunions d’équipe…
En 2013, alors que la consolidation et l’ajustement des nouvelles pratiques de l’association sont en train de s’affiner, le mandat à la présidence du CA de Gwenaël Brëes prend fin. Dès le départ, celui-ci avait annoncé qu’il ne ferait qu’un seul mandat et la question de sa succession se pose. D’autant que les réformes entamées lors de l’ « année expérimentale » et leur mise en œuvre requièrent un engagement en temps et énergie important pour la présidence du CA. Le besoin d’assurer une certaine continuité de l’action du CA se fait aussi ressentir. Par ailleurs, afin de poursuivre la dépersonnalisation et la déconcentration des pouvoirs au sein d’IEB et de rechercher une plus grande transversalité, il apparaît intéressant que la présidence du CA ne soit plus concentrée sur une seule personne, mais soit plus collective. La proposition adoptée à l’AG de juin 2013 est donc celle d’une co-présidence du CA, Gwenaël Breës assurant une transition d’un an tandis que Chloé Deligne et Raphaël Rastelli assurent un mandat de quatre ans. La formule d’un trio de co-présidence va s’avérer pertinente et efficace à l’usage. Lors du départ de Gwenaël Breës en 2014, il est donc remplacé par Marco Schmitt afin de continuer la formule du trio de co-présidence du CA.
Le principe de la co-présidence du CA n’a jamais été inscrite formellement dans les statuts d’IEB dans le but de laisser une souplesse aux évolutions possibles des besoins, mais dans les faits, il a été reconduit jusqu’à aujourd’hui.
Par ailleurs, lorsque Mathieu Sonck quitte le poste de Secrétaire Général d’IEB en 2014, il n’est pas remplacé. En effet, dans la foulée du processus qui a suivi « l’année expérimentale », l’équipe fonctionne désormais avec un trio de coordination occupé par des travailleurs ou travailleuses de manière tournante sur une durée de trois ans.
Moins personnifiée, IEB apparaît aussi davantage comme une force collective, ce qui n’est pas toujours bien compris à l’extérieur, dans une société biberonnée aux figures individuelles, plus ou moins héroïques ou paternalistes.
Aujourd’hui, chemin faisant, avec quelques ajustements, IEB continue de fonctionner sur un mode plus horizontal que ne le font classiquement les ASBL : une forme d’auto-gestion tempérée qui permet un plus grand partage d’expérience et une implication de toutes et tous. Ce chemin n’est certes pas plus facile qu’un autre, mais il permet d’autres prises et d’autres devenirs. Moins personnifiée, IEB apparaît aussi davantage comme une force collective, ce qui n’est pas toujours bien compris à l’extérieur, dans une société biberonnée aux figures individuelles, plus ou moins héroïques ou paternalistes.
Ainsi, à l’heure où les changements de noms (des entreprises, des partis politiques, ou de certaines associations) permettent d’acheter une (pseudo-) virginité à bon compte tout en masquant une continuité des pratiques, IEB au contraire chérit son héritage des années 1970 tout en étant attentive à transformer son fonctionnement interne pour mieux y refléter ses valeurs. En cela, elle continue aussi de naviguer à contre-courant.
Bruxelles Fabrique, Action Patrimoine Pavés Platanes (APPP), membre de l’Organe d’administration d’IEB.
[1] Lire Le plan de développement international (PDI) ou comment essayer de (mieux) vendre Bruxelles : https://www.ieb.be/2007-Le-Plan-de-Developpement-International-PDI-ou-comment-essayer-de-mieux