En 2008, le Conseil des Ministres décide d’accroître la capacité carcérale via la construction de sept nouvelles prisons, parmi lesquelles le projet de méga-prison à Haren, avec une capacité de 1190 places, soit la plus grande de Belgique. Si le projet est aujourd’hui sur pied, il a suscité et suscite encore une contestation et des critiques d’ampleur. IEB au côté des habitants, et dans le cadre de la plate-forme contre le désastre carcéral, a contribué à cette mobilisation dès 2012.
C’est le comité des habitant.es de Haren qui a été le premier acteur à s’interroger sur l’implantation d’une prison sur les 18 hectares du terrain du Keelbeek. En effet, en 2010, la Ville de Bruxelles annonce aux habitant.es un projet de 300 à 400 détenus sur le site des anciennes usines Wanson. On leur promet un village pénitentiaire alors qu’ils vont en réalité avoir affaire à la plus grande et plus dense prison de Belgique.
Inquiet, le comité ira frapper à la porte d’IEB et décidera d’interpeller le Conseil Communal de la Ville de Bruxelles en 2012 mais avec peu de résultats. S’enclenchera alors une réflexion d’une partie des habitant.es de Haren sur la situation carcérale en Belgique et l’intérêt d’une nouvelle prison dans ce contexte. IEB leur proposera de co-construire un film avec les Ateliers urbains du Centre vidéo de Bruxelles pour creuser le sujet. Il en sortira, en 2013, le film documentaire « Prisons des villes, prisons des champs » qui interrogera l’éloignement de la prison des centres urbains et la construction de nouvelles prisons pour résoudre la question de la surpopulation carcérale.]] La sortie du film sera l’occasion d’organiser des soirées-débat autour de ces sujets complexes et d’élargir le cercle des personnes intéressées par l’enjeu de la construction de la nouvelle prison. La même année IEB sortira son Bruxelles en Mouvements « Enfermer la prison à la campagne ».
La première critique qui sera faite au projet porte sur son éloignement du centre urbain. Une prison n’est pas un microcosme complètement refermé sur lui-même que l’on pourrait déplacer au gré des caprices de l’aménagement du territoire sans que cela ne présente des conséquences majeures pour les personnes qui gravitent dans et autour de cet espace.
La localisation, l’accessibilité des lieux de détention jouent un rôle déterminant pour favoriser la réinsertion ultérieure des détenus. Sans la proximité de la ville, c’est toute la politique de réinsertion, d’emploi, de maintien des liens familiaux qui peut être réduite à néant. Les familles viendront moins régulièrement si elles savent que pour une visite d’une heure elles vont perdre une demi-journée, sans compter les moyens financiers plus élevés nécessaires pour couvrir la distance. Et ce, alors que le maintien des liens familiaux constitue une donnée essentielle pour la future réinsertion des condamnés.
Les prisons de Saint-Gilles et Forest présentaient l’énorme avantage de garder les prisons à proximité du Palais de Justice ou encore de la gare du Midi, à une distance de. 2,5 km du Palais de justice contre 15km pour celle de Haren . La proximité facilite les transferts des détenus, les déplacements des avocats, des juges, les visites des familles et des proches, bref une accessibilité vitale tant pour la bonne administration de la justice, que pour l’exercice des droits de la défense ou encore le bon maintien des liens sociaux entre le détenu et le monde extérieur. [1]
Nous verrons que l’éloignement de la prison sera en effet source par la suite de nombreux problèmes pour toutes les personnes qui gravitent autour du monde carcéral (détenus, familles, gardiens, magistrats,…).
Les questions posées par la future nouvelle méga-prison furent suffisamment interpellantes pour que la Ligue des Droits Humains et l’Observatoire International des Prisons décident de s’associer avec Bruxelles-Laïque, le Centre d’Action Laïque, l’Université Libre de Bruxelles, IEB et le Comité de Haren pour organiser une journée d’étude en mars 2014 sur l’implantation du projet de nouvelle prison. Le colloque réunira plus de 250 personnes avec pour message : la prison est un choix de société qui mérite un débat démocratique qu’il est nécessaire que les citoyen.nes s’approprient. Un choix politique a été fait à partir des années 90 en Belgique de développer un « master plan prison » qui échelonne l’extension du parc carcéral alors que tous les spécialistes s’accordent pour considérer que l’on doit changer de cap si l’on veut résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Les précédentes notes de politiques générales pénales et pénitentiaires mettaient l’accent sur le fait que la prison devait constituer une mesure d’ultime recours et que l’augmentation de la capacité n’était pas la solution : « plus on construit de prisons, plus on les remplit ».
Même si l’argument avancé pour construire la prison de Haren était notamment de faire face à la surpopulation carcérale, d’emblée, on savait qu’elle ne parviendrait déjà pas accueillir l’ensemble des détenus incarcérés dans les trois prisons bruxelloises qu’elle était censée remplacer : Saint-Gilles, Forest et Berkendael. La Cour des Comptes indiquait déjà à l’époque que la mise en œuvre du Masterplan impliquerait de toute façon un déficit de 900 places si on continuait à remplir les prisons selon la même logique. La surpopulation est le fait de l’allongement de la durée des détentions préventives, de l’allongement des peines ainsi que de la survenance plus tardive des libérations. C’est donc sur la politique criminelle qu’il faut directement agir via une réforme du système pénal plutôt que par la construction de nouvelles prisons pour résoudre le problème de la sous-capacité pénitentiaire [2].
La prise de conscience, par les différents acteurs présents au colloque, que le débat sur la nouvelle prison faisait fausse route va les fédérer. Habitant.es, défenseurs des droits humains, défenseurs de l’environnement, magistrats décidèrent de rassembler toutes leurs forces vives au sein d’une plateforme « Pour sortir du désastre carcéral » [3]. Celle-ci entendait faire front commun contre le projet de prison par un travail collectif élaborant des prises de positions communes et interpellant les différents niveaux politiques concernés. Si les motivations des uns et des autres pour s’opposer au projet pouvaient diverger, le déficit démocratique flagrant du projet sera leur ciment.
Ni la première ni la deuxième mouture du Masterplan ne reposait sur la moindre étude relative à la capacité du parc carcéral existant et à son état de vétusté. « On se demande si les décisions relatives à la construction de tel ou tel établissement ne relèvent dès lors pas de discussions et de calculs réalisés sur un coin de table à la va-vite. Ces décisions ne reposent en tout cas sur aucune étude et aucune expertise. Par ailleurs, elles n’anticipent nullement l’écroulement d’autres bâtis tels que ceux de Lantin ou Verviers. » [4]
La première étape du Masterplan prévoyait que les nouvelles constructions de prisons se feraient via des partenariats public-privé (PPP). Cela signifie que des sociétés privées, réunies en consortiums de grande taille, s’occupent de la conception architecturale (sur base d’un cahier des charges de l’État), de la construction du bâti, du financement et de la maintenance (entretien de l’infrastructure, gestion de l’alimentation pour et par les détenus ainsi qu’envers le personnel, buanderie, jardinage, nettoyage, gestion des déchets) desdites prisons. C’est ce qu’on appelle le système « DBFM » (Design, Build, Finance, Maintenance). Toutefois, la surveillance des détenus continue d’être assurée par les agents pénitentiaires.
À l’époque, la Cour des comptes signalait déjà que le choix des PPP de type DBFM pour la construction de certaines prisons du Masterplan avait été acté sans aucune évaluation préalable. De fait, dans un courrier du 17 septembre 2015, adressé par le Premier Ministre Charles Michel à la Plate-forme pour sortir du désastre carcéral, ce dernier signalait que « le Ministre de la Justice est en train d’évaluer la forme la plus avantageuse de réalisation et de financement des futures prisons ». Nos dirigeants avançaient à l’aveuglette, les marchés étant déjà attribués au moment où l’on se posait la question des meilleures modalités de montage de l’opération. En effet, la désignation du consortium Cafasso [5] comme partenaire DBFM pour construire la prison remontait à mai 2013, soit sous le précédent gouvernement.
Si la Belgique est loin d’être pionnière dans les PPP, la France et les États-Unis bénéficiaient à ce moment d’une longue expérience en la matière et remettaient sévèrement le modèle en cause. Il était notamment établi que ce type de partenariat était extrêmement coûteux pour l’État et n’apportait pas toutes les garanties de sécurité dans la qualité d’exécution. En France, un rapport de la Cour des comptes de 2010 démontrait que les indemnités annuelles octroyées par l’État aux prestataires privés étaient 2 à 3 fois plus élevées que lorsqu’un établissement carcéral relevait entièrement du public.
Les choix étant posés en-dehors de tout débat parlementaire, le député Olivier Maingain décidera d’interpeller en 2015 Jan Jambon sur la convention passée avec la Régie des bâtiments pour la construction de la prison [6]. Il s’avérera que le document n’existait pas... Raison officielle avancée : les nombreux problèmes rencontrés par le projet au niveau des permis. Dans ces conditions, il était impossible d’exercer un contrôle parlementaire dans un dossier dont le coût total était tout de même estimé à 2 milliards d’euros. [7]
En janvier 2016, une information judiciaire sera ouverte dans le but d’éclaircir les conditions dans lesquelles le consortium Cafasso fut désigné comme adjudicataire préférentiel pour réaliser le chantier. [8] C’est dans ce contexte que les parlementaires de l’opposition déposèrent en décembre 2015 une résolution réclamant un audit de la Cour des comptes dans le secteur des établissements pénitentiaires liés à un partenariat public-privé [9]. Ce rapport sera publié en 2023 et la Cour des comptes soulèvera le manque de rigueur budgétaire dans les différents Masterplans et indiquera que le recours aux contrats DBFM (PPP) est plus coûteux que la gestion propre classique. [10]
Outre le mauvais choix du PPP, on peut se demander pourquoi avoir choisi le terrain du Keelbeek à Haren pour construire la nouvelle prison ? Un petit détour par la France, nous permet d’observer à rebours le vaste mouvement de périphérisation du parc pénitentiaire que connut ce pays à partir des années 60. De nombreuses prisons de tailles vertigineuses furent construites en périphérie des villes : les anciennes prisons implantées au cœur de la ville furent détruites ou conservées pour accueillir une nouvelle affectation plus lucrative. La méga-prison de Fleury-Mérogis, construite en 1967 et susceptible d’accueillir 3 110 détenus, est sans doute l’exemple le plus frappant de ce mouvement centrifuge.
L’étude d’incidences du projet à Haren énoncera que : « Le terrain de Haren a été désigné comme meilleur site en raison de sa situation, de la superficie disponible, de sa disponibilité et de sa finalité au regard des délais proposés dans le Masterplan ». Voilà la seule phrase de l’étude d’incidences qui motivera le choix d’implantation.
Il est vrai que la volonté de regrouper trois prisons en une nécessitait de facto la recherche d’un terrain de dimension conséquente et difficile à trouver dans le milieu urbain et dense de Bruxelles. S’il est imaginable de construire des petites unités carcérales en milieu urbain, il est nettement moins simple de trouver 18 hectares de terre. Sans compter que ces 18 hectares sont vraiment le minimum acceptable pour accueillir 1 200 détenus. À titre de comparaison, signalons que la nouvelle prison de Marche-en-Famenne accueille 312 détenus sur 16 hectares. La combinaison du choix du lieu avec celui de construire une prison surdimensionnée a eu pour conséquence de créer une densité jamais rencontrée pour ce type de structure.
Mais pourquoi vouloir regrouper à tout prix les trois prisons alors que selon une étude norvégienne [11], confirmée par d’autres études ultérieures, il existe une relation entre la taille de la prison et la qualité de vie : les petites prisons (de maximum 50 détenus) obtiennent un score nettement supérieur aux grandes prisons (de plus de 100 détenus). En 2011, la Fondation Roi Baudouin sortait un rapport dans lequel on peut lire : « Se pose en même temps la question de savoir si le choix d’une prison ‘mastodonte’, comme celle de Haren, est vraiment la meilleure option pour réaliser ces objectifs. Des ‘maisons de détention’ à plus petite échelle dans la ville, qui permettent et encouragent une interaction aisée avec la société dans son ensemble, semblent beaucoup plus indiquées, surtout dans le cadre de la création d’une capacité pénitentiaire ouverte. » [12]
C’était dès 2007 que le Gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de la Régie des Bâtiments (son bras immobilier), s’était mis en quête d’un terrain au sein de la région de Bruxelles-Capitale pour accueillir le nouveau complexe. On pouvait bien imaginer que le nombre de terrains en région bruxelloise répondant aux critères du Gouvernement était limité – celui-ci devant compter 18 hectares, être disponible assez rapidement et ne pas coûter trop cher. Toutefois, les critères qui ont permis de jeter le dévolu sur le terrain de Haren n’ont jamais été énoncés clairement. Certes le terrain de Haren présentait la superficie annoncée et son prix du m² était certainement bien plus bas que d’autres terrains envisagés : 53 millions d’euros pour 18 hectares, soit 294 €/m², alors que le prix moyen en région bruxelloise tournait alors autour de 550 €/m². Amené à se prononcer sur la question suite à un recours des riverains contre le permis d’environnement du projet de prison, le Collège d’environnement [13] soulignera que « ce sont des motifs économiques non étayés ainsi que la disponibilité du site qui ont conduit au choix d’implantation ».
Déménager la prison à Haren avait pour avantage de libérer le foncier saint-gillois dont la valeur est nettement plus lucrative que celle de Haren comme en a attesté un rapport du bureau d’étude MSA publié en 2014, une étude commandée par la Région bruxelloise dans le cadre de la libération progressive de ces terrains. L’étude spécifiait notamment que « ces sites constituent des opportunités foncières uniques par rapport à leur localisation dans un tissu urbain dense ainsi qu’à la qualité actuelle de leur desserte en transports publics, la proximité de pôles de services existants » tout en reconnaissant « à ce jour, aucun accord n’existe entre l’État fédéral et la Région de Bruxelles-Capitale sur le devenir des sites des trois prisons et beaucoup d’inconnues subsistent à leur sujet ».
La Région ne se cachera nullement de ses appétits de reconversion foncière. Dans sa déclaration politique de rentrée du 22 octobre 2015, Rudi Vervoort, le Ministre-Président de la Région bruxelloise s’exprimait ainsi : « Il est à présent primordial que le Fédéral – acteur foncier de certains sites – prenne position sur la libération de certains de ses terrains dont l’affectation est vouée à disparaître. Je pense aux prisons de Saint-Gilles et de Forest (…) Nous avançons sur la vision de développement de ces sites pour en permettre un développement rapide dès leur libération – mais il nous faut à présent des garanties du Fédéral. Dans cette optique, le Gouvernement a approuvé l’étude de définition du réaménagement des prisons de Saint-Gilles et de Forest – qui identifie un potentiel de construction d’un millier de nouveaux logements et d’une nouvelle école primaire. »
Tandis que le projet avance dans l’ombre, la résistance s’organise sur le terrain. [14] Peu à peu, au fil des actions menées, le territoire enclavé et méconnu de Haren a titillé la curiosité et attiré l’attention. En avril 2014, le collectif des « Patatistes » choisira symboliquement le terrain de la prison pour organiser une action de plantation de pommes de terre durant la journée des « Luttes Paysannes » pour la préservation des terres agricoles, mobilisant plus de 400 personnes sur les lieux. La journée marquera les esprits et le territoire méconnu de Haren deviendra médiatique.
Dans le même temps, la première enquête publique consacrée au cahier des charges de l’étude d’incidences prendra place au début de l’été, au moment où les habitant.es décident de souffler un peu. Néanmoins les forces se mobiliseront et la présence en commission de concertation de représentants du syndicat des magistrats, de la Ligue des Droits Humains, de l’Observatoire International des Prisons et d’autres sympathisants aux côtés des habitants forcera le respect. L’avis rendu par les membres de la commission de concertation demandera l’étude d’un projet de prison plus modeste et la présence d’un représentant des habitants et du syndicat des magistrats dans le comité d’accompagnement pour la réalisation de l’étude d’incidences. Un minuscule droit de visite accordé pour ce projet placé sous haute surveillance.
Les habitant.es constituèrent également un dossier pour introduire une demande de classement du site du Keelbeek et son sentier historique dont on trouve déjà des traces en 1836 sur le plan parcellaire de la commune sous le nom du Helbeek et qui figure depuis 1841 dans l’atlas des chemins vicinaux. La Ville de Bruxelles s’abstiendra de remettre un avis sur la demande. Fin 2014, la Commission royale des monuments et sites remettra malheureusement un avis défavorable sur la proposition de classement.
Au mois d’août de la même année, le festival urbain « PleinOpenAir » du cinéma Nova s’installera à Haren lors d’un week-end où balades, projections de films et débats en lien avec l’univers carcéral seront au programme. A cette occasion, des personnes camperont sur le terrain. Peu à peu, des personnes venues des quatre coins de la Belgique et d’Europe viendront s’installer en bordure du Keelbeek. Fin 2014, elles nommeront ce site la ZAD du Keelbeek, la première ZAD (zone à défendre) de Belgique. La présence sur place de divers occupants donnera une vitalité et une créativité extraordinaire à la résistance : des marches, des débats, projections, plantations, chantiers de construction et autres ateliers animeront le site du Keelbeek. Certains plancheront sur un projet de ferme ouverte [15]. Mais le 12 septembre 2015, un premier ordre d’expulsion des zadistes sera délivré alors qu’aucun permis n’a encore été délivré et que par conséquent aucun chantier ne peut démarrer. Les zadistes tiendront bon jusqu’en 2018 ! [16]
En juin 2015, le permis d’environnement sera délivré et plusieurs habitants de Haren introduiront avec IEB un recours contre le permis d’environnement. En décembre 2015, le Collège d’environnement de la Région de Bruxelles-Capitale refusera le permis d’environnement octroyé à Cafasso et critiquera lourdement l’étude d’incidences sur laquelle reposait toute la procédure d’octroi des permis. Dans sa décision, le Collège d’environnement donnera droit à plusieurs arguments avancés par les requérants :
Et le Collège de conclure que toute autorité délivrante d’un permis doit s’assurer que le projet constitue la meilleure solution envisageable eu égard aux incidences sur l’environnement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le choix opéré résultant de négociations politiques dont les résultats ne sont pas joints au dossier.
Et de fait, on s’étonnera que ni le Fédéral, ni le Régional n’ait jamais analysé un scénario de rénovation de la prison de Saint-Gilles qui aurait pourtant eu tout son sens d’autant que cette rénovation était déjà largement entamée : 100 nouvelles cellules individuelles, 4 salles polyvalentes, 3 salles d’attente, 5 bureaux et 18 douches avaient été réceptionnées suite à la rénovation de l’aile B en 2012, le tout pour un coût de 7,5 millions d’euros, alors que le coût de construction de la nouvelle prison se chiffrait au minimum à 330 millions d’euros. La décision précitée du Collège d’environnement refusant le permis d’environnement de la prison de Haren pointera le fait que « l’étude de l’alternative consistant à rénover les actuels établissements de Saint-Gilles et Forest-Berkendael est bâclée ». Cette option aurait pourtant permis de disposer d’une infrastructure de qualité à moindre coût et dans des délais plus rapides que la construction de la nouvelle prison dont l’ouverture initiale était annoncée pour 2015. Si le Fédéral avait poursuivi son programme de rénovation tel qu’entamé, les détenus de Saint-Gilles disposeraient aujourd’hui d’une prison rénovée à proximité du Palais de Justice. Mais cette option n’aurait pas pu être réalisée via un PPP, lequel permettait de ne pas devoir débourser un montant considérable de dépenses publiques sur une courte période mais de l’amortir sur deux décennies et demie.
Malheureusement, le gouvernement mettra à terre la décision du Collège d’Environnement et délivrera un nouveau permis d’environnement à la prison, passant outre les critiques du Collège d’Environnement, des habitant.es et des associations. En juin 2016, le Conseil communal de la Ville de Bruxelles votera la déviation du sentier du Keelbeek, dont le tracé faisait obstacle à la réalisation du projet de méga-prison. Elle négociera en compensation de la déviation un parc de deux hectares et une passerelle. Le 24 décembre 2016, la veille de Noël (ça ne se fait pas par hasard), la Région délivrera le permis d’urbanisme, ne laissant plus comme seule possibilité aux riverains d’attaquer le permis devant le Conseil d’État. Il s’agit d’une procédure longue et coûteuse. Les riverain.es et les militant.es s’organiseront et mettront sur pied « Keelbeek en justice » pour lancer des appels à dons et brasser une bière pour aider au financement du recours.
Le Comité de Haren, l’asbl Respire, des riverain.es et des militant.es lancèrent alors « l’observatoire de la méga-prison de Bruxelles-Haren » pour mettre la prison sous surveillance critique et demander aux acteurs et autres élus responsables de ce projet délétère de rendre compte des conséquences dommageables de leurs décisions. [17] Début 2017, deux cents citoyens et quatorze organisations lanceront l’« Appel pour un moratoire sur la construction de nouvelles prisons en Belgique ».
Fin de l’année 2018, la première auditrice du Conseil d’État rendra un premier avis concluant à l’annulation des permis d’urbanisme et d’environnement, et ce, pour des motifs qu’on ne peut qualifier de cosmétiques : violation du PRAS en raison de la suppression d’un plan d’eau, insuffisance de l’étude d’une alternative au projet permettant de réduire sérieusement la mobilité, motivation indigente pour justifier l’absence de prise en compte des effets cumulatifs des autres grands projets dans la zone sur la mobilité. La dernière audience sur le permis d’urbanisme se tiendra le 25 juin 2019. Pour IEB, un débat de fond soucieux du bien être des détenus aurait dû conclure à la rénovation des anciennes prisons de Saint-Gilles et Forest en lieu et place de leur démolition et de la construction d’un mastodonte carcéral en pleins champs. Mais le Conseil d’État avalisera les deux permis, malgré l’avis critique de l’auditrice. Le tribunal de première instance de Bruxelles dans son jugement du 9 janvier 2019 établissait pourtant que construire de nouvelles prisons, et notamment la méga-prison de Haren, ne permettrait pas de résoudre le problème de surpopulation carcérale.
Mais on ne clouera pas aussi vite leur bec aux militant.es anti-carcéraux. Mi-2019, ils sortiront l’incroyable livre « Ni prison, ni béton », une mine d’informations, un recensement quasi exhaustif de la lutte qui aura été menée durant près de 10 ans, fruit d’un travail collectif intense, de récoltes de témoignages et d’archives pour prendre acte du passé, du présent de la prison de Haren et dégager des pistes pour un autre avenir. [18]
Lors des diverses manifestations contre le projet, une maquette de la prison sera détruite et des personnes seront poursuivies pénalement et civilement. Le 1er octobre 2021, le tribunal prononcera le verdict pour le volet civil de l’affaire et 4 militant·e·s seront condamné·e·s à rembourser 43.000 euros à la Régie des bâtiments, propriétaire de la maquette détruite. Un comité de soutien se constituera pour lancer un appel à la solidarité et financer l’amende.
La prison de Haren ouvrira ses portes le 30 septembre 2022, mais le calendrier d’ouverture complet restera inconnu. Comme pronostiqué, la prison peinera à recruter des gardiens pour pouvoir faire fonctionner l’établissement. Près de deux-tiers des agents pénitentiaires refuseront d’aller à Haren, notamment en raison de son inaccessibilité. Résultat : les gardiens de Saint-Gilles seront transférés vers Haren mettant également la prison de Saint-Gilles en sous-effectif avec des répercussions sur les conditions de détention : privation de douche, de préau, les détenus n’ont pu recevoir ni linge ni visite durant un mois.
Début 2023, Haren Observatory, IEB et La Ligue des Droits Humains dénonceront le fiasco de la nouvelle prison. Ils pointeront le fait que le contrat de Partenariat-Public-Privé conclu entre la régie des bâtiments et le consortium Cafasso est toujours inaccessible et que les sous-effectifs de gardiens y atteignent des records avec des conséquences sordides : trois morts en trois mois depuis l’ouverture de la méga-prison en raison de conditions de détention inhumaines. [19]
Fin 2023, la Ligue des Droits Humains, l’Observatoire International des Prisons (OIP), l’Université Saint-Louis, l’ULB et l’UCL organiseront une journée d’étude pour faire le bilan critique d’ un an de fonctionnement de la prison de Haren. Dans la foulée sortira le film du même nom de Jean-Benoît Ugeux [20] soulevant les questionnements et les doutes qui aujourd’hui se sont malheureusement concrétisés. Au moment où l’Etat Belge persiste dans sa fuite en avant de construire des nouvelles prisons, la surpopulation carcérale explose (au 1ᵉʳ mars 2024, la surpopulation était de 14,6% par rapport à la capacité globale des prisons belges). Notre pays est le 4ᵉ d’Europe où la surpopulation carcérale est la plus importante. La nouvelle méga-prison de Haren destinée à accueillir 1200 détenus était censée entraîner la fermeture de la prison de Saint-Gilles or cette dernière voit régulièrement son sursis prolongé malgré son mauvais état. Il est temps de changer de paradigme !
Inter-Environnement Bruxelles
[1] C. Scohier, « Garder la prison dans la Cité », in le Blé, janvier-mars 2023 : https://echoslaiques.info.
[2] Ph. Mary, La politique pénitentiaire, Courrier hebdomadaire, CRISP, 2012, n° 2137, p.22.
[3] La plateforme réunissait l’Association du syndicat des Magistrats (ASM), La Ligue des Droits Humains (LDH), L’Observatoire International des Prisons (OIP), le Centre d’Action Laïque, l’asbl Respire, Le Début des Haricots, IEB et le Comité de Haren : Le projet de prison à Haren : il est moins une pour penser l’alternative !
[4] Florence DUFAUX, « Masterplan pour méga-prison », in Bruxelles en mouvements n°264, mai-juin 2013.
[5] Le consortium regroupe divers entreprises dont Denys NV, FCC Construccion SA, Macquarie Capital Group (inquiété dans l’affaire Lux Leaks), Vialia Sociedad Gestora de Concesiones de infraestructuras SL, AAFM Facility Management bv et plusieurs bureaux d’architectes.
[6] « Olivier Maingain : ‘La prison de Haren, une affaire à la Clifford’ », Le Soir, 28 novembre 2015.
[7] Le coût initial projeté de la construction était de 330 millions auquel il convient d’ajouter les frais de fonctionnement. En considérant une échelle basse de coût à 126 euros par jour et par détenu, cela menait à environ 54 millions d’euros par an. La durée de la convention étant prévue pour 25 ans, le coût initial sur 25 ans était de 1,679 milliards d’euros.
[8] Visionner le film du collectif Tout va bien « Le projet de maxi-prison à Haren : un petit projet entre potes (PPP) »
[9] « La prison de Haren au-dessus des moyens de l’Etat », Le Soir, 15 janvier 2016 et Prison Gate. 1 : une proposition de résolution pour faire toute la clarté sur le financement des nouvelles prisons
[11] Johnson et al., 2008, in Liebling, Titan’ Prisons : do size, efficiency and legitimacy matter ?, Bristol : Polity Press.
[12] Fondation Roi Baudouin, Vivre et travailler en prison : à l’écoute des personnes concernées. Compte rendu de tables rondes identifiant les besoins en termes d’architecture et d’aménagement des nouveaux établissements pénitentiaires, 2011.
[13] Voir la décision du Collège d’environnement du 11 décembre 2015.
[14] I. Hochart, « Haren, un territoire en sursis », novembre 2014.