Augmentation inflationniste des coûts, effondrement des justifications du projet, chantier partiellement à l’arrêt sous le Palais du Midi, endettement structurel de la Région et coupes budgétaires d’ores et déjà annoncées,… N’en jetez plus, la coupe est pleine. Qui aura désormais le courage politique d’arrêter les frais et de se pencher sur une meilleure organisation du réseau de transport public existant ?
Plus si lentement et en tout cas sûrement, la facture du futur métro 3 continue d’augmenter, passant désormais à 2,65 milliards d’euros, soit une augmentation de 20 % depuis décembre 2021. Rappelons qu’au lancement du projet, le coût de celui-ci était évalué en 2009 à 900 millions d’euros. Si l’augmentation du budget nécessaire au fil du temps était inévitable et prévisible (notamment due à l’inflation), elle n’est pas de nature à rassurer alors que le permis pour la partie Nord-Bordet n’a toujours pas été obtenu, et donc que les chantiers les plus importants et onéreux n’ont même pas débuté. En cas de mise en œuvre de la deuxième phase du projet de métro 3, les coûts pourraient devenir exponentiels en fonction des nombreux imprévus, inévitables dans ce type de chantiers.
La mise à l’arrêt, depuis plusieurs mois, d’une partie du chantier pour la future station Toots Thielemans suite à des problèmes de stabilité du Palais du Midi fait craindre le pire pour la suite, car la technique de construction qui y est utilisée est censée être bien maitrisée en région bruxelloise, au contraire de la technique du tunnelier, totalement inédite, qui doit être utilisée pour creuser 5 kilomètres de nouveau tunnel sous les communes de Schaerbeek et d’Evere. Aux dernières nouvelles, aucune solution ne semble d’ailleurs avoir été trouvée pour sortir de l’impasse au centre-ville. Une destruction partielle du Palais du Midi sera-t-elle nécessaire ?
Au niveau budgétaire, les limites de l’endettement de la Région bruxelloise sont atteintes. Sans surprise, les autres projets de métro dans les cartons de la Région, à l’Ouest jusqu’à Berchem et au sud vers Uccle, sont mis au frigo jusqu’en 2030, voire définitivement. L’enveloppe d’argent fédéral que Bruxelles reçoit annuellement via le fond Beliris pourrait quant à elle être totalement réquisitionnée pour le métro 3, au détriment d’autres projets essentiels qu’elle permet aujourd’hui de financer comme la rénovation de logements sociaux, de parcs et d’espaces publics. Cette réquisition ne suffira de toute manière pas à assumer les coûts de la ligne de métro prévue.
Sven Gatz, le ministre en charge des finances, a déclaré qu’il serait impossible après 2025 de maintenir hors budget les investissements stratégiques de la Région (essentiellement dédiés au métro), le tour de passe-passe d’écriture comptable qui permet jusqu’ici de masquer l’endettement de la Région. En clair, le prochain gouvernement devra impérativement faire des économies et trouver de nouvelles sources de financement.
Parmi ces sources de financement, il évoque les recettes de l’instauration d’une taxe kilométrique (Smart Move). Au-delà des nombreuses critiques que l’on peut adresser au dispositif, tant d’un point de vue social qu’environnemental, les revenus de celle-ci pourraient finalement s’avérer assez faibles en raison des suppressions des taxes de mise en circulation et des taxes de circulation annuelles qui accompagnent le projet, mais aussi des coûts opérationnels importants d’une tarification kilométrique (installation de caméras de surveillance, développement d’une application mobile, installation en masse de systèmes embarqués dans les véhicules…). D’autant que si la mesure est efficace pour limiter l’usage de la voiture, les revenus sont par définition destinés à s’amenuiser.
Les coupes budgétaires seront dès lors inévitables, ce qui pose la question des futures capacités d’investissements de la Région, notamment en termes de mobilité (le développement de nouvelles lignes de tram), mais aussi de logements (construction de logement social, isolation et rénovation du bâti…).
Les discours de la quasi-totalité des pouvoirs publics jusqu’à aujourd’hui ont consisté à dire qu’il n’y avait aucune alternative au métro 3. Joignant le geste à la parole, les différents chantiers ont été lancés stratégiquement par les gouvernements successifs de manière à empêcher autant que faire se peut tout retour en arrière. Pour Sven Gatz, le point de non-retour serait atteint, car un arrêt du projet coûterait à la région près d’un demi-milliard.
Il y a cependant de quoi s’interroger sur ce chiffre dont les détails n’ont pas été communiqués. Les montants engagés pour la transformation en métro de l’axe entre Albert et la Gare du Nord sont-ils repris dans cette estimation ? Car plus personne aujourd’hui ne demande de stopper la création de la future station Toots Thielemans. En revanche, les sommes dépensées jusqu’ici pour l’axe à créer entre Nord et Bordet se révèlent finalement assez « faibles » au regard du coût total du projet.
En effet, on parle de moins d’une centaine de millions d’euros, dépensés essentiellement dans des études et des travaux préparatoires [1], alors que le chantier global des 5 km de nouveau tunnel à creuser et des sept stations à construire devrait dépasser quant à lui le milliard et demi. Changer son fusil d’épaule dès maintenant permettrait donc d’éviter de s’enfoncer dans un bourbier dont l’issue financière est plus qu’incertaine.
De plus, depuis le lancement du projet la situation bruxelloise s’est profondément modifiée. Les principales justifications pour la création d’une nouvelle ligne de métro portaient sur la possibilité d’un report modal de la voiture vers le transport en commun, sur une absorption par le transport public d’un présupposé boom démographique et la nécessité d’offrir plus de capacité dans le pré-métro qui serait saturé aux heures de pointe .
Or, non seulement tout report modal a été invalidé par les études régionales, mais le boom démographique s’est révélé inexact puisque le bureau du plan prévoit aujourd’hui une stagnation de la population bruxelloise jusqu’en 2070 [2]. Quant à la saturation du pré-métro actuel (par ailleurs, jamais clairement démontrée par la STIB), celle-ci ne peut que s’améliorer au regard de l’instauration structurelle du télétravail et d’une modification des comportements en matière d’achats (commerce en ligne), pour ne citer que deux paramètres.
Ceci étant dit, une métroisation partielle, uniquement sur l’axe Albert-Nord, se révèlerait très dommageable pour la mobilité régionale, car elle n’offrirait pas de desserte directe entre le nord, le centre et le sud de la Région tout en provoquant de nombreuses nouvelles correspondances pour les usagers du transport public. Dès lors, la meilleure issue possible serait de repenser le réseau de tram et de pré-métro existant pour une exploitation compatible avec la future station Toots Thielemans, une politique qui offrirait un haut niveau de service pour un coût quasi nul.
Le préalable au lancement d’une telle étude demande de lancer dès à présent un moratoire sur la suite de la mise en œuvre du projet de métro 3. Alors qu’on annonce une nouvelle enquête publique en 2023 sur le tronçon Nord-Bordet et que tout sera mis en œuvre par la STIB pour lancer les chantiers avant les prochaines élections (selon la technique éprouvée du fait accompli), qui aura le courage politique au Gouvernement et/ou au Parlement pour exiger que l’on débranche la prise ?
Afin qu’une audition de ces arguments puisse être tenue auprès des députés régionaux de la commission mobilité, signez la pétition en cours sur le site de Démocratie.Brussels.
[1] http://www.parlement.brussels/weblex-quest-det/?moncode=154963&base=1