1990, 27 juillet, un incendie se déclare dans les anciens magasins Esders situés entre l’église Sainte-Catherine et la rue de la Vierge Noire. Le début d’une transformation radicale et malheureuse à laquelle IEB et l’ARAU ont essayé sans succès de s’opposer.
Pour ceux et celles qui ne situent pas l’endroit, les magasins Esders se trouvaient à l’emplacement de l’actuel hôtel Novotel près de la place Sainte-Catherine. Aujourd’hui, ce dernier fait face au nouveau bâtiment administratif de la ville de Bruxelles (Brucity) d’un côté, et de l’autre, il enserre la « Tour Noire », une des dernières traces de la première enceinte médiévale de Bruxelles.
Cet îlot a connu une histoire très mouvementée au cours des deux derniers siècles. Au 19e siècle, il faisait partie d’un quartier populaire au bâti très dense, fait de petites maisons, de ruelles et d’impasses dans lesquelles grouillaient nombre d’estaminets et cabarets, de petits commerces et d’ateliers en tous genres.
Il fut l’objet d’un premier réaménagement radical au moment du voûtement de la Senne (1866-1872) qui longeait la rue de la Vierge Noire : de nombreuses maisons furent expropriées sur les anciennes rives de la rivière disparue, puis abattues. Sur l’espace ainsi récupéré, on érigea de grandes halles de commerce, appelées « halles centrales » (1874), symboles de la modernité.
Un peu plus tard, entre 1886 et 1891, le quartier fut complètement remanié à grands coups d’axes rectilignes, à l’occasion du percement de la rue Antoine Dansaert. L’ensemble des maisons du quartier qui restaient debout entre la rue de la Vierge Noire et la place Sainte-Catherine furent à leur tour expropriées et abattues, attirant la spéculation immobilière sur le quartier. C’est à l’occasion de cette destruction qu’on redécouvrit et dégagea la Tour Noire enserrée pendant des siècles dans le bâti.
Stefan (ou Stéphan) Esders est un homme d’affaires d’origine autrichienne, installé à Bruxelles en 1870. Après avoir fait ses armes comme chef de rayon du grand magasin Au Bon Marché à la rue Neuve, il investit dans le rachat de dix-neuf terrains « à bâtir » de l’îlot qui venait d’être rasé selon les plans de la commune. Il avait convaincu la Ville de suivre son projet d’y établir un nouveau grand magasin de textile au dernier goût du jour, sur le modèle des grands magasins parisiens. Connus dans tout Bruxelles à la Belle Époque, les magasins Esders ouvrirent des succursales dans plusieurs villes d’Europe.
Mais après la Seconde Guerre mondiale, le magasin perdit de sa superbe. Le bâtiment de style éclectique fut défiguré dans les années 1960 et il ferma ses portes en 1974. Le rez-de-chaussée continua à vivre d’une galerie commerçante jusqu’en 1990, année de son abandon définitif. C’est cette année-là qu’un grand groupe hôtelier finlandais se montre intéressé par le rachat de l’ensemble de l’îlot formé par les ex-grands magasins Esders.
L’incendie du 27 juillet 1990 intervint juste après que la société écran « Espace Sainte-Catherine » du groupe finlandais Tomesto ait racheté le site. D’origine criminelle, il est l’œuvre d’un homme qui n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il avait mis le feu à un autre bâtiment rue de l’Association quelques mois plus tôt [1]. À qui profite le crime ? À la société hôtelière ! Car quelques mois plus tard, en mars 1991, le conseil communal tenu par le bourgmestre Hervé Brouhon et son bras droit à l’urbanisme Michel Demaret, décide de faire démolir le bâtiment incendié pour raison de sécurité malgré les demandes de conservation et de restauration argumentées émanant d’IEB et de l’ARAU... On aurait voulu offrir un cadeau à la société hôtelière qu’on n’aurait pu mieux faire ! Dans la presse, les deux associations dénoncent (une fois de plus) le scandale immobilier.
Au mois d’août 1991, lors des travaux d’abattage des bâtiments ruinés, les engins travaillent « à la sauvage » et provoquent des dommages à la Tour Noire, bâtiment classé depuis 1937 : un morceau de la tour est arraché, un créneau est démoli, les alentours sont mutilés. Les deux associations échaudées par la politique du fait accompli dénoncent publiquement les agissements et se tournent alors vers le ministre régional en charge des Monuments et Sites, Georges Désir, et son conseiller Christian Spapens, qui tentent de recadrer la Ville dont le laxisme en matière de patrimoine est sidérant. (Toute ressemblance avec des faits plus récents serait purement fortuite !)
Après la destruction, le site restera longtemps à l’état de terrain vague jusqu’à ce que les travaux pour un hôtel de 245 chambres soient entrepris (1995). L’hôtel 4 étoiles construit autour de la Tour Noire, comme l’exigeait le permis, est malheureusement à l’image de toute cette saga : triste !