1986, c’est l’année de parution du premier « Ville et habitant », l’ancêtre du journal d’IEB que vous connaissez tous aujourd’hui, le Bruxelles en mouvements (BEM) qui prendra corps en février 1999, il y a 25 ans déjà ! Il vous offre un regard aiguisé sur les processus à l’œuvre dans notre ville, pour pointer du doigt ce qui déraille et pour appuyer là où ça fait mal lorsque c’est nécessaire.
IEB naît des luttes urbaines des années 60 et 70. Dans la foulée de l’exposition universelle de 58, la ville est livrée aux promoteurs. PLe quartier Nord, les Marolles, les autoroutes urbaines, ... autant de champs de bataille de la bruxellisation. Ces décennies et leur lot de projets aussi méprisants de la vie urbaine que mégalos débouchent sur l’émergence d’un tissu associatif exceptionnel qui vaudra à Bruxelles son surnom de « ville aux 100 comités de quartier ». Dès 1971, ces groupes se fédèrent avec d’autres au sein de la section bruxelloise d’« Inter-Environnement », fédération nationale vouée à se scinder rapidement. Puis, le 29 avril 1974, c’est la fondation d’IEB, censée donner la voix aux revendications spécifiques des habitant·es de cette capitale déjà coincée entre la Flandre et la Wallonie, à la fois convoitée et laissée pour compte.
Se joignant aux pratiques militantes des débuts, l’écrit tient un rôle primordial dès les premières heures de la fédération. En témoignent les nombreux communiqués de l’époque, mais aussi des textes fondateurs comme par exemple les « Principes pour l’aménagement démocratique de l’Agglomération bruxelloise » qui affirment IEB à la fois comme contre-pouvoir et comme force propositionnelle.
Fin 1978, commence à paraître « La ville et les habitants » [1], qui deviendra mensuel à partir de 1986 « Ville et habitant » puis « Ville et habitants » de 1993 à 1998. Au long de ses 20 ans d’existence, cette publication se voudra tour à tour journal, bulletin d’action ou de liaison, périodique d’information, revue et finalement « le magazine des Bruxellois », reflétant ainsi le parcours d’IEB pendant les années 80 et 90. Elle connaîtra différentes périodicités et des tirages variant entre quelques centaines à ses débuts et pas loin de 3 000 exemplaires au milieu des années 90. S’y ajoutera dès 1979 « Quartiers », supplément traitant essentiellement de l’actualité urbanistique, notamment à travers la liste des enquêtes publiques suivies par IEB. [2] La fin de Quartier en janvier 1996 est liée à la reprise en mains des avis d’enquête par les autorités publiques qui imposent une collaboration avec le Vlan.
Parcourir les pages de ces publications, c’est se plonger dans l’histoire de Bruxelles, découvrir les difficultés auxquelles les Bruxellois·es étaient confronté·es, les combats qu’ils et elles ont menés et la manière dont les enjeux ont évolué. Parcourir ces pages, c’est aussi se plonger dans l’histoire d’IEB, notamment à travers le discours et l’attitude adoptée face aux pouvoirs publics, mais aussi la manière dont la fédération se positionne par rapport à ses membres. Ainsi, dans son édito de mars 1979, René Schoonbroodt, alors président d’IEB, constate qu’« être positif ne sert à rien avec des gens qui de toute manière estiment qu’ils ont, seuls, raison ». Le rôle de contre-pouvoir et le potentiel conflictuel de celui-ci est à ce moment entièrement assumé. Avec la création de la Région bruxelloise en 1989, il y a cependant une certaine convergence entre les positions défendues par les associations depuis leur naissance et les objectifs annoncés du monde politique local.
Les espoirs suscités par la naissance de la Région auprès d’IEB et de ses membres sont considérables : défense des Bruxellois·es face aux grands projets destructeurs de l’État fédéral, satisfaction des besoins des habitant·es, préservation du patrimoine et de l’environnement…
Après des années de lutte acharnée, on croit enfin venue l’heure de faire la ville avec et pour les habitant·e·s. Le politique ne demande évidemment pas mieux que d’avancer main dans la main avec un secteur associatif qui le soutient. Une fois ainsi liée, IEB se met à accomplir des missions de service pour la Région, convaincue d’œuvrer pour la qualité de vie des Bruxellois·e·s, et ce de plus en plus au fil des années, au point de jouer les médiateurs entre habitants et pouvoirs publics lors de projets immobiliers conflictuels comme cela a pu être le cas au quartier Midi en 2004 [3].
C’est à cette période, plus précisément en 1998, qu’est lancé « Vivre à Bruxelles ». Il s’agit là de la tentative d’IEB d’éditer un magazine grand public de 52 pages visant 5000 abonnés et disponible en kiosque tous les mois. L’équipe est embarquée dans cette entreprise considérable afin d’accomplir son vieux rêve : communiquer avec tou·tes les Bruxellois·es. Les moyens investis sont considérables et un effort colossal est fourni pour remplir tous les mois les pages et rubriques de la publication, mais déjà l’épuisement et les difficultés financières pointent leur nez. Même pas un an plus tard, la publication du magazine est suspendue.
Après coup, il est facile de juger ce pari, fait à un moment où Internet annonce déjà le déclin de la presse imprimée et où, à l’heure où le libéralisme triomphant connaît les sommets éphémères de sa gloire, la « société civile » semble à l’agonie. Ses auteurs, forts de l’histoire et de l’expérience d’IEB, y ont néanmoins cru, et si cet échec ouvre une période difficile, il aura en fin de compte son importance dans le long processus qui permettra à IEB de connaître un nouveau souffle et de renouer avec ses débuts combatifs.
Après 286 numéros, les compteurs sont remis à zéro. Retour à l’essentiel : le premier « Bruxelles en mouvements » paraît le 12 février 1999, sous forme de quatre pages remplies des communiqués de presse d’IEB, des actualités des comités membres et des dossiers à l’enquête et un agenda. Petit à petit, la nouvelle publication bimensuelle s’étoffe, tout en restant essentiellement le bulletin de liaison de la fédération et de ses membres. Parallèlement, IEB lance sa lettre d’information dont la diffusion dépassera bientôt largement celle du BEM tout en remplissant peu ou prou le même rôle.
C’est en décembre 2007, dans l’édito du numéro 198, que Mathieu Sonck – alors secrétaire général d’IEB – annonce le changement de périodicité du journal, afin de permettre à l’équipe de réaliser un travail de fond et d’analyse plus poussé. Dès le numéro suivant, la plupart des BEM comportent un dossier thématique. Cette annonce préfigure d’autres changements qui suivront rapidement et laisse transparaître les profondes remises en question qu’IEB connaît à ce moment-là. En effet, il s’agit fondamentalement de « redonner à IEB sa liberté de parole »4.
Mise face à ses contradictions par des habitants, des membres, mais aussi des travailleurs fatigués par le grand écart pratiqué depuis la naissance de la Région, IEB finit par questionner autant sa place dans les enjeux bruxellois, sa relation aux pouvoirs publics, que son fonctionnement interne. Tous ces questionnements impulsent ladite « année expérimentale » de 2009, pendant laquelle IEB est amenée à fondamentalement repenser ses pratiques et son fonctionnement. Il s’agit de tirer les enseignements de l’aventure entamée en 1974 : en (re)construisant une position collective sur la ville, ses enjeux et les stratégies d’action à mener ; en interrogeant la position d’IEB dans la société civile, son rapport au pouvoir politique et aux médias ; et en apprenant des nouvelles manières de faire, en repensant la structure existante et le fonctionnement de la fédération.
Parallèlement à IEB, le BEM aussi accomplit sa mue : progressivement, c’est la lettre d’information qui remplira le rôle de liaison qui avait été celui du journal. Les dossiers et les rubriques s’étoffent et, en 2012, le format change à nouveau. Le BEM devient le journal format tabloïd que vous connaissez aujourd’hui. Ce changement permet d’aérer la mise en page tout en offrant plus de place aux textes et en augmentant considérablement le tirage. Désormais ce sont d’abord 5000, puis, depuis 2022, 6000 exemplaires qui sont envoyés aux fidèles abonné·es et distribués gratuitement à travers un réseau de près de 200 points de dépôt sur l’ensemble de la Région. Autre changement majeur, à partir de ce moment-là, les contenus sont élaborés collectivement au travers des réunions mensuelles du comité de rédaction, qui ne compte pas que des membres de l’équipe mais aussi des contributeurs externes, ponctuels ou réguliers.
Tant et si bien qu’aujourd’hui de nombreuses et nombreux bruxellois connaissent le journal sans nécessairement connaître IEB. Mais si le journal est gratuit, il est également possible de s’y abonner ce qui permet de financer en partie son impression, une façon de garantir l’indépendance de la ligne éditoriale que vous y trouvez. La conclusion ? Pour recevoir le BEM à la maison et nous permettre à continuer à le diffuser largement et plus largement pour soutenir IEB… abonnez-vous. Et surtout, lisez le BEM !
[1] Le communiqué de presse du 19 décembre 1978 présente « La ville et l’habitant » comme « un nouveau moyen d’action pour Inter-Environnement Bruxelles et les comités d’habitants » mais aussi comme « un moyen de communication avec toute la population bruxelloise ».
[2] Depuis sa création en 1974, IEB rassemble de nombreuses données relatives à la Région bruxelloise. Une revue de la presse quotidienne, mais aussi des ouvrages de référence, des revues spécialisées, ainsi que diverses études et bien sûr les publications d’IEB constituent le fond d’un centre de documentation riche de plus de 27 000 références. Vous y trouverez aussi l’ensemble de nos publications depuis 1974. Catalogue en ligne : https://biblio.ieb.be/