Inter-Environnement Bruxelles
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1981 : Moortebeek et le Ring, une histoire de ceintures (auto)routières

Boulevard Sylvain Dupuis © Régie des Bâtiments - 1975

Enserrées par le ring ouest, la chaussée de Ninove et les boulevards Maria Groeninckx-De May et Sylvain Dupuis, les habitations de Moortebeek constituent l’une des 23 cités-jardins de la Région bruxelloise. Construits par la première coopérative de locataires bruxelloise, les Foyers Collectifs, les 330 maisons et 124 appartements abritent plus d’un millier d’habitants, 1700 avec les occupants des barres du Peterbos qui les jouxtent.

La cité-jardin n’aura pas fêté ses 34 ans que son unité était déjà remise en cause par le « tout-à-l’automobile » de l’après-guerre. Dès 1956, dans la perspective de l’Exposition universelle, Anderlecht fut dotée de nouvelles voiries automobiles dont les boulevards Joseph Bracops et Shaekespeare, qui coupèrent obliquement la cité-jardin en deux.

Débouchant sur le carrefour du Prince de Liège, ces voiries devaient compléter la Grande Ceinture à l’ouest, dont le tronçon principal était (et est toujours) le boulevard Louis Mettewie, inauguré par le bourgmestre éponyme en 1938. Cette « Grande Ceinture », constituée à l’est par l’axe Lambermont-Général Jacques, ne sera jamais bouclée : « un petit ring jamais fini », disait-on en 1978 de ces boulevards imaginés sous Léopold II [1].

C’est pourtant le « grand » Ring, l’autoroute autour de Bruxelles projetée dès 1949, qui faillit avoir raison de la cité-jardin Moortebeek. Alors que le premier tracé s’écartait de l’Agglomération bruxelloise, ses versions postérieures, dont celle de 1955, s’en rapprocheront fortement. Notamment celle présentée en 1974 par l’intercommunale B1, qui reposera pour les communes de l’ouest et du nord sur des aménagements d’une ampleur autrement plus importante que ceux liés à la Grande Ceinture [2].

À Anderlecht, le vaste échangeur de La Pède, soit deux viaducs (671 et 724 mètres), plusieurs ponts et cinq bretelles d’accès, « permettra de contourner en autoroute le sud-ouest de l’Agglomération […] pour reprendre ensuite, via le boulevard Shakespeare, les boulevards de Grande Ceinture existants (Mettewie, De Smet de Naeyer) » [3]. Bref, les boulevards Shakespeare et Bracops formeront une bretelle d’accès au Ring, entraînant au passage l’éventrement de la cité-jardin. L’ouverture du Westland Shopping Center en 1972, qui borde les boulevards en question, n’est probablement pas étrangère au souhait d’augmenter fortement le gabarit des voiries concernées.

Il reste que les plans de l’intercommunale B1 pour le Ring de Bruxelles sont présentés dans un contexte de moins en moins favorable aux projets autoroutiers. D’une part, les combats des comités de quartier contre le ministère national des Travaux publics et ses « autoroutes de pénétration » [4] contribuent à ébranler le consensus sur l’adaptation de Bruxelles aux contraintes automobiles, tant au niveau communal qu’au niveau de l’Agglomération [5]. D’autre part, le premier choc pétrolier et ses conséquences induisent une baisse des dépenses qui fait craindre un report du bouclage du ring : « Les chantiers sont en cours un peu partout, mais hélas, les restrictions de crédits font craindre aux dirigeants de l’intercommunale que la date de la fin 1976 ne puisse être respectée pour terminer la ‘boucle’ », peut-on lire dans ce qui ressemble à un publireportage [6]. À Anderlecht, l’opposition des habitants et des autorités locales a entraîné l’abandon du projet de bretelle dès 1977 [7], et la cité-jardin Moortbeek est définitivement sauvée en 1981 [8].

L’abandon des « autoroutes de pénétration » et de certains ouvrages dont l’échangeur de la Pède n’a cependant pas affecté les velléités d’élargir le ring un peu plus au nord, entre Grand-Bigard et Strombeek. En 1981, en réponse aux craintes quant au futur gabarit de l’autoroute, le cabinet des Travaux publics répondait que « les projets ne prévoient rien d’autre que deux fois quatre bandes de circulation avec, là où c’est possible, une bande des ‘pneus crevés’ dans chaque sens. Donc, un maximum de dix bandes aux endroits les plus larges » [9].

C’est que ce tronçon du ring, le premier à avoir été construit, à la fin des années 1950, est particulièrement important : il raccorde l’autoroute d’Ostende à celle d’Anvers. Aujourd’hui, l’élargissement concerne l’infrastructure jusqu’à l’autoroute de Liège, intégrant ainsi la zone de l’aéroport. Plus de dix ans après avoir reformulé officiellement le souhait d’élargir le ring nord, la Région flamande semble enfin avoir les cartes en main pour entamer prochainement ces travaux pharaoniques, maquillés tantôt en « réaménagement », tantôt en « optimalisation » [10].

À plusieurs reprises, IEB et d’autres associations ont demandé l’abandon du projet, notamment en 2012 quand la plateforme Modal Shift contesta la méthodologie de l’étude d’incidences environnementales [11]. À en juger par sa réaction, en juin 2023, au programme retenu par son homologue flamand, le gouvernement bruxellois ne semble pas particulièrement inquiet, notamment quant aux potentiels reports de circulation en RBC. Des reports qui pourraient advenir à court terme, en raison de la suppression de la sortie Wemmel, et à moyen terme, du fait de la saturation probable du Ring suite à l’appel d’air que devrait générer son élargissement.


[1« Les ceintures routières de Bruxelles : 1810-1978 », La Libre Belgique, 21/11/1978.

[2Constituée en 1971, l’Intercommunale est chargée de la réalisation des autoroutes de la périphérie de Bruxelles. Elle groupe la Ville de Bruxelles, la commune de Waterloo, la province de Brabant, l’intercommunale Haviland et le Fonds des routes. Lire « L’Intercommunale B1 présente le ring de Bruxelles », Cité, 02/02/1974

[3« L’échangeur de la Pède sur le Ring Ouest, à Anderlecht », La Libre Belgique, 13/06/1974 et « L’échangeur de la Pède à Anderlecht », Le Soir, 15/09/1974.

[4« Autoroutes : le saccage de Bruxelles continue », Spécial, 28/07/1976

[6« Tout sur le ‘ring’ au World Trade Center », Le Soir, 02/02/1974.

[7« Anderlecht : comment les voitures ont déserté ce boulevard depuis 40 ans », dhnet.be, 19/09/21.

[8Voir la ligne du temps établie pour les 40 ans d’IEB

[9« Le nord de Bruxelles inquiet ; le ring aura-t-il seize bandes de circulation ? », Le Soir, 07/11/1981

[10Lire sur notre site : « Ring Nord : ceci n’est pas une ‘optimalisation’ », 28 juin 2021.

[11Lire sur notre site : « Élargissement du ring : contre-vérités et manipulation », Note Modal Shift, 15/02/2012