Inter-Environnement Bruxelles
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1978-1982 : Les boutiques urbaines et la vallée du Maelbeek

© Le Maelbeek - 1981

Créée en réaction aux grands projets immobiliers spéculatifs, à l’urbanisme des salons de velours, à la tertiarisation incontrôlée de Bruxelles et aux grands projets autoroutiers destructeurs du tissu urbain, IEB cherche dès sa fondation à mettre en place des modes d’action au plus proche des habitants. C’est ainsi qu’après quelques années d’existence seulement, IEB, en cheville avec l’ARAU, se lance dans la création des “boutiques urbaines”. Ces lieux, ouverts dans les quartiers populaires, animés par des membres et des travailleurs/travailleuses engagés par IEB, avaient pour vocation d’informer les habitants des projets qui visaient leur quartier, de les outiller pour faire valoir leur avis et élaborer des contre-propositions, de fédérer leurs luttes, mais aussi de les soutenir juridiquement et techniquement dans l’amélioration de leur logement. Ainsi, très pragmatiquement, les boutiques urbaines s’attelaient, sur le terrain, à lutter contre le pourrissement des logements et l’abandon des espaces collectifs résultant de la spéculation immobilière et de la « politique du bulldozer » [1]. Trois boutiques urbaines ont ainsi vu le jour au tournant des années 1970 et 1980 : une à Cureghem, une autre à Bruxelles-Centre (Anneessens/Saint-Géry) et une troisième dans la vallée du Maelbeek.

Installée à la chaussée Saint-Pierre à Etterbeek (près de la place Jourdan), la boutique urbaine du Maelbeek, avait ceci de particulier qu’elle s’appuyait sur l’existence d’une petite dizaine de comités d’habitants constitués l’un après l’autre depuis 1971. Du nord au sud, on trouvait ainsi le comité du square Marie-Louise, le comité de défense Stévin-Joseph II, le comité de défense Pascale-Froissart, le comité de défense de la vallée du Maelbeek (commerçants de la place Jouradan), le comité de la place Jourdan, celui de la rue Vautier, le comité de la rue Gray et, sur les hauteurs d’Ixelles, ceux de la rue Lesbroussart et des rues Bailli-Defacqz. Ensemble ils formaient le “Groupement du Maelbeek”. Le bourgeonnement de ces comités, encouragé par IEB, trouve en partie son explication dans la multiplication des opérations urbanistiques d’ampleur (et la spéculation immobilière qui l’accompagnait) qui entrainaient l’incertitude foncière sur de longues années, donc la détérioration du bâti, et souvent l’éviction des habitants et la destruction des logements, aussi bien sur le territoire de la Ville de Bruxelles, que sur celui des communes d’Etterbeek et d’Ixelles.

L’installation des premières institutions européennes à Bruxelles fut le point de départ de la transformation profonde de la vallée du Maelbeek. Au départ de la rue Belliard, où la Commission européenne s’était établie en 1958, ses bureaux colonisèrent peu à peu les rues du quartier Léopold et des environs de la place Jourdan, entrainant la destruction de très nombreuses maisons au profit de la construction d’immeubles administratifs et de la tertiarisation poussée de cette partie de la ville. Le processus dura près de 50 ans sans pouvoir être réellement stoppé, malgré l’activité acharnée des comités, rejoints par le Groupe d’Animation du Quartier européen de la Ville de Bruxelles (GAQ) fondé en 1982 et par l’Association du Quartier Léopold (AQL) fondée en 1987.

Concomittamment à la poussée européenne des années 1960 et 1970, on vit naitre en 1972 un projet d’autoroute urbaine qui devait relier la place Albert à Forest à la Cage aux Ours à Schaerbeek en rasant tout sur son passage. Cette “autoroute du Maelbeek”, comme on l’appela rapidement, constituait la “ceinture intermédiaire” dans un plan autoroutier général conçu par le ministère (fédéral) des Travaux publics en dehors de toute publicité. Ici, la ferme opposition des comités d’habitants soutenus par IEB limita d’abord le projet à un tronçon Flagey-Square Marie-Louise, avant de pousser les autorités à son abandon définitif au début des années 1980.

Extrait du journal édité par la boutique urbaine, Le Maelbeek, avril 1981, n°1, p.2 © Le Maelbeek - 1981

Enfin, troisième élément conflictuel concomittant : le problème des inondations du Maelbeek, qui touchaient particulièrement la vallée supérieure, entre la rue Gray et la chaussée d’Etterbeek. Dans un premier temps, voulant faire d’une pierre deux coups, l’intercommunale en charge de l’assainissement du Maelbeek et les communes d’Ixelles et d’Etterbeek avaient envisagé de “résoudre” ce problème en élargissant la rue Gray à 24 m. de large afin de poser un nouveau collecteur d’eaux pluviales et d’égout dans l’espace “libéré”… Cela facilitait aussi le passage de l’autoroute, évidemment. Sauf que la “libération” de l’espace était conditionnée à la destruction de dizaines d’immeubles et de centaines de logements dans un quartier populaire aux loyers (à l’époque) modérés ! Ici aussi, l’action des habitants, fut déterminante pour enterrer le projet. Serge Moureaux, alors échevin de l’urbanisme à l’Agglomération bruxelloise, fut aussi une personnalité politique déterminante, lui qui organisa puis présida la Table ronde du Maelbeek à partir de 1973, en mettant autour de la table toutes les parties concernées : communes, Agglomération, STIB, SNCB, ministère des Travaux publics, nistère des Communications,… ainsi que les comités d’habitants et les associations (IEB, ARAU et l’ERU, fondé en 1976, dont c’était un des premiers dossiers suivis). Cette Table ronde continua de se réunir et de discuter des affaires du Maelbeek, jusqu’à la fin des années 1980, peu avant la création de la Région bruxelloise.

La Boutique urbaine du Maelbeek animée par une assistante sociale, une architecte et un conseiller juridique était ouverte tous les jours pour des conseils au logement, et offrait une permanence juridique aux habitants une fois par semaine. D’une certaine manière, même si d’autres associations comme la Maison de Quartier Bonnevie (1975) ou La Rue asbl (1977) le faisaient déjà aussi, elle préfigure les associations de conseil à la rénovation et à l’habitat qui ont émergé dans les années 1980 et 1990 (parfois dans la dépendance directe des pouvoirs communaux). Sa caractéristique cependant était d’allier le soutien à l’autonomisation des habitants et la lutte sur le terrain politique. A cette fin, elle a publié un journal, organe de liaison entre les habitants, sobrement appelé Le Maelbeek, qui sortit 10 numéros, d’avril 1981 à février 1982. Conservé dans les archives d’IEB (elles-mêmes conservées au centre d’archives Etopia à Namur) [2], ce journal est une mine d’informations sur les réalités vécues par les Bruxellois·es dans les années 1970 et au tout début des années 1980.

Extrait du journal Le Maelbeek, octobre 1981, n°6, pp. 2-3. © Le Maelbeek - 1981

[1A propos de la politique du bulldozer et de l’action de Serge Moureaux (cf. infra), voici un lien vers un documentaire diffusé sur l’émission « Antenne Soir » de la RTBF le 30 juin 1982, conservé dans les archives de la SONUMA

[2Nous reviendrons dans une prochaine rubrique sur les richesses des archives d’IEB… et aussi leurs lacunes… On peut avoir un aperçu du fonds d’IEB (et de bien d’autres aussi) via la base de données d’Etopia consultable en ligne : https://rhizome.etopia.be/

  • À l'enquête du 01/01 au 30/11/1982.