Bruxelles en mouvements n°327, décembre 2023.
Durant la dernière décennie, les mots « logements sociaux » ont pratiquement disparu des bouches de nos édiles. On parle désormais de « logements publics » ou de « logement à finalité sociale ». Un glissement sémantique qui n’est pas anodin. Derrière lui se cache la dilution physique du logement social. Si la Région bruxelloise se targue de comptabiliser près de 10 % de logements à finalité sociale (ce qui englobe les logements acquisitifs Citydev ou ceux qui sont confiés aux AIS), elle détient en réalité moins de 7 % de logements sociaux, à savoir un logement locatif public qui le reste dans la durée et qui est fourni contre un loyer tenant compte du revenu de ses occupants. 90 % des logements sociaux ont été construits avant la naissance de la Région et sont pour la plupart dans un état de dégradation avancée.
Pourtant, le logement social reste à l’heure actuelle la seule mesure politique véritablement sociale en matière de logement. Confier au marché privé la responsabilité de loger la population, laisser primer le logement-marchandise sur le logement comme besoin et comme droit, c’est renoncer, de fait, au droit au logement pour tous. A l’inverse, développer une politique de logement social, c’est sortir de la logique du logement-marchandise, éviter l’appropriation des subsides publics par quelques-uns, lutter contre les discriminations au logement et assurer la justice sociale et le droit à la ville. De plus, les bâtiments qui sont, et restent, propriété publique ou collective forment un rempart contre la gentrification, phénomène qui rend les quartiers invivables pour une bonne partie des habitant.es.
Pour ces raisons, le présent dossier, réalisé avec l’aide de l’IGEAT et d’Action Logement Bruxelles, se veut un véritable plaidoyer pour le logement social. Ce n’est pas pour autant qu’il fait l’impasse sur les réalités difficiles des occupants actuels des grands ensembles construits en majorité durant les deux périodes d’après-guerre. Les travailleurs de Bonnevie, de l’Union des locataires Marolliennes (ULM) et de l’Union des locataires d’Anderlecht-Cureghem (ULAC) se font ici le relais de leurs voix : liste d’attente interminable et dédale bureaucratique, vétusté et insalubrité, gestion défaillante par certaines SISP,… tant et si bien que la seule raison qui pousse les locataires à rester dans le logement social est son accessibilité financière. Le manque d’investissements dans les immeubles existants et les difficultés liées à la concentration d’une population précarisée ont terni l’image du logement social [1]. Mais ce n’est pas une fatalité et les pouvoirs publics ont les moyens de construire des logements d’excellente qualité.
Certes, on ne peut nier que la Région se heurte à des blocages divers venant notamment des réticences communales et de la contestation de certains riverains. Nous publions une cartographie montrant que le nombre total de logements sociaux ayant été ou étant toujours bloqués par un conflit au niveau communal est de 2 254 sur un total de 4 722 projetés. Ce qui signifie que près d’un tiers des projets de logements ont été bloqués par des conflits situés pour l’essentiel dans la couronne aisée du sud est de la Région. Le dossier évoque deux illustrations de ces blocages : les Dames Blanches à Woluwe-Saint-Pierre et le Chant des Cailles à Watermael-Boitsfort.
Mais ces blocages n’expliquent pas tout dès lors que la Région rechigne à produire du logement social même lorsqu’elle est à la manœuvre comme l’illustre la vidéo réalisée par IEB « En attendant le logement social » qui questionne au travers de trois sites (Mediapark, Tour et Taxis et Dames Blanches) la volonté politique de produire du logement social dès lors que la Région n’utilise pas l’argent et les terrains dont elle dispose pour en produire…
Enfin, nous avons réalisé une cartographie du stock des logements sociaux à l’échelle de l’Union européenne. On observe de façon générale une dégradation – tantôt lente, parfois plus rapide – de l’offre en logement public locatif liée à une privatisation progressive des parcs sociaux existants. Toutefois, certains pays ou villes parviennent à se démarquer, démontrant par là même les marges de manœuvre qui existent pour mettre en place une politique de logement social plus ambitieuse.
En bref, ce dossier nous aide à repenser le logement social comme moyen de lutter contre la discrimination et d’inverser le rapport marchand pour faire en sorte que le logement social ne soit plus un marqueur de pauvreté. Croire dans le logement social, c’est penser que ses manquements actuels ne sont ni inéluctables ni acceptables.