Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Entre chiffons et béton

Bruxelles en mouvements n°317, avril 2022.

© Milena Strange - 2022

Nous vous présentons le dernier numéro du Bruxelles en Mouvements traitant des matières et objets qui font nos vies, mais que nous abandonnons, jetons, récupérons ou recyclons. Ceux et celles qui les jettent et les délaissent n’étant pas nécessairement celles et ceux qui les récupèrent ou les recyclent. Tandis que des petites mains dans les quartiers populaires subsistent en récupérant inlassablement ferrailles, chiffons et autres « brols », dans le haut de l’échiquier, d’autres n’hésitent pas à envoyer à la casse des immeubles entiers et leurs tonnes de béton pour faire tourner la bétonnière et la planche à billets.

Le premier article vous fera remonter le temps vers de vieux métiers apparus dans les villes du 19e siècle, le biffin à Paris, le voddeman à Bruxelles, ces hommes et ces femmes qui, en marge du salariat, récoltent les objets que nous délaissons. Chiffonniers, ferrailleurs, autant d’activités de subsistance qui permettaient de récupérer et recycler localement ce que les nouveaux urbains mettaient au rebut dans une jeune économie industrielle en croissance. De plus en plus, la promotion de l’économie circulaire vient assimiler, intégrer ou concurrencer ces vendeurs à la sauvette qui s’installent aux marges des lieux institutionnalisés de la « récup » (marchés, brocantes,..). Dans la foulée de ce tour d’horizon, le journal vous fera déambuler dans les Marolles, à Cureghem, aux Abattoirs d’Anderlecht, ces quartiers qui accueillent aujourd’hui encore ceux qui vivent de l’économie d’en bas et de ces métiers en marge de l’économie formelle.

Pour tous ces objets que nous laissons dans un coin, un garage, un grenier, nous usons souvent à Bruxelles du terme « Brol ». Le Laboratoire Interdisciplinaire en Études Urbaines a décidé de creuser la polysémie de ce mot au contour flou en organisant des ateliers en 2019 au cœur des Marolles. C’est l’objet du troisième article qui évoque la mise en tension intrinsèque du concept de Brol qui incarne à la fois un désordre à éradiquer, mais aussi l’« authenticité » qui fait l’attractivité des quartiers populaires, quitte à les voir disparaître au passage. 

À deux pas des Marolles, dans le quartier du Midi, la « mise en ordre » du Brol a déjà causé maints dégâts transformant un quartier, certes chaotique mais populaire et vivant, en quartier de bureaux, au prix de la destruction de nombre de maisons et de l’expulsion de leurs habitants. La Région semble aujourd’hui regretter l’ordre dévitalisant qu’elle a créé et annonce un Plan d’aménagement directeur (PAD) pour faire revenir les habitants. Mais la plupart des terrains destinés à la production des futurs logements appartiendront (suite à un deal immobilier avec la SNCB) à des promoteurs immobiliers privés. Loin de récupérer et de recycler l’existant, le PAD Midi autorise une vaste opération de démolition-reconstruction. Une opération similaire est aussi à l’œuvre au centre-ville avec le projet Brouck’R où Immobel et BPI envisagent la destruction de la quasi-totalité d’un îlot longeant la place De Brouckère au motif de la dégradation des bâtiments laissés vides durant des années par l’ancien propriétaire (Allianz).

Tandis que dans le bas de l’échelle, des petites mains récupèrent patiemment nos déchets, le haut du panier, lui, en produit au bulldozer !

Illustrations : Milena Strange