Bruxelles en mouvements n°332, octobre 2024.
La multiplication des pratiques de surveillance dans la ville interroge. D’autant que les ambitions de Bruxelles à s’imposer comme une smart city se sont, jusqu’à présent, presque exclusivement matérialisées dans le domaine sécuritaire. Il est donc temps de passer en revue ces pratiques, parfois nouvelles, et de donner la parole à celles et ceux qui analysent de près leur mise en place, l’interrogent ou la combattent.
La surveillance peut se définir comme « la collecte et l’analyse d’informations sur des individus ou des groupes afin de régir leur activité » [1]. Dans cette acception, la pratique est aussi ancienne que les premières formes d’organisations étatiques – et des guerres qu’elles ont menées. Ce qui est nouveau, c’est l’explosion de la quantité d’informations collectées, en particulier ces dernières années, avec les évolutions de l’informatique. Aujourd’hui, chaque individu se trouve quotidiennement au centre de la production d’un nombre colossal de données : images de caméras, localisation, opérations bancaires, utilisation de carte MoBIB, antécédents médicaux, historique de navigation web, activités sur les médias sociaux, connexions aux réseaux wifi, pétitions signées, langues pratiquées, visas délivrés... et tant d’autres donnant des informations liées au bagage culturel de la personne, à son état psychique, à ses caractéristiques physiques, etc.
Toutes ces données ne sont bien sûr pas enregistrées avec comme objectif premier de nous surveiller. Beaucoup le sont par simple nécessité technique, ou pour nous offrir un meilleur confort dans l’utilisation de services. Isolées, la plupart de ces données peuvent d’ailleurs paraître bien anodines. Cependant, combinées entre elles, ces masses d’information sont de plus en plus à même de circonscrire, de manière relativement précise, le profil d’un individu. Et ce profil peut-être utilisé par une pluralité d’acteur·ices aux motivations diverses de la police aux compagnies d’assurances, en passant par les multinationales, supermarchés et autres publicitaires. Sans oublier votre employeur, ni vos ancien·nes partenaires en colère !
Si ces tendances inquiètent, elles ne trouvent pas que des détracteur·ices. Dans l’article « Petit pays, Big Data », vous découvrirez que pour lutter contre la criminalité, certain·es voudraient voir la police devenir « prédictive » et « intelligente ». L’efficacité de nos forces de l’ordre devrait à présent dépendre d’algorithmes et de bases de données, remodelant par là même le paysage de la prévention et de la répression.
L’outil principal de cette transformation serait la vidéosurveillance, liée aux aménagements urbains défensifs. L’article « La vidéosurveillance à Bruxelles : trop n’est jamais assez » démontre qu’à Bruxelles les autorités poursuivent inlassablement le déploiement de caméras de plus en plus sophistiquées (bodycams, drones, algorithmiques, etc.). Mais les caméras peuvent être subjectives, de mauvaise qualité, non fonctionnelles, inégalement placées dans certains quartiers, etc. C’est ce que rappelle l’article « Vidéosurveillance et violence policière : un champ obstrué », qui souligne également qu’après des années de déploiement sous diverses latitudes, l’efficacité de la vidéosurveillance n’a toujours pas pu être démontrée, particulièrement lorsqu’il s’agit de prévenir, de constater voire de condamner des violences policières.
Plutôt que de contribuer à une amélioration de la vie urbaine, les caméras de surveillance « intelligentes » semblent surtout entretenir le stigmate sur certains groupes sociaux et certaines zones de la ville, mettant en danger au passage nos libertés fondamentales. L’article « La vie privée, pour quoi faire ? » invoque le droit à la vie privée, en particulier à l’aune d’appels de plus en plus pressants à l’instauration de la reconnaissance faciale. Et le texte « La Sousveillance : production d’un contrechamp face aux violences policières » rappelle, plus concrètement, que le contre-pouvoir se situe aujourd’hui davantage du côté de la société civile, avec les images de sousveillance filmées au téléphone par des passant·es ou des victimes, et diffusées sur les réseaux sociaux ou dans des journaux indépendants.
Aujourd’hui, chaque individu se trouve quotidiennement au centre de la production d’un nombre colossal de données.
Nous avons des connaissances bien inégales en matière de technologie et selon nos affinités avec l’informatique, les enjeux soulevés par la surveillance peuvent nous échapper. L’article « Démocratie & numérique : comment reprendre la main ? » rappelle cependant que les enjeux de surveillance posent des questions d’ordre social qui dépassent les choix techniques et pour lesquelles les débats devraient être ouverts au plus grand nombre. C’est pourquoi le Mouton Numérique s’efforce de sortir le débat technologique du seul cercle des ingénieur·es.
Et parmi les outils que nous utilisons au quotidien, les logiciels de messagerie instantanée sont particulièrement générateurs de données sensibles qui intéressent tout autant les commerciaux, que les institutions judiciaires ou policières. Pour ces dernières instances, le contrôle de nos conversations doit aider à lutter contre différents trafics illégaux et combattre les réseaux criminels. Cependant, l’article « Quand la technologie s’empare de la conversation » rappelle que non seulement l’efficacité d’une telle surveillance reste à prouver, mais qu’en plus elle pose des questions pressantes sur la surveillance croissante de nos vies.
Pour finir sur une note un peu plus positive, le « Petit guide de résistance numérique » vous invite à suivre les pas de militant·es attentif·ves aux enjeux techniques, afin de découvrir des alternatives à vos applications préférées. Beaucoup d’applications n’échappent en effet pas au paradoxe de nous rendre à la fois plus autonomes, en nous permettant de faire plus de choses, mais également plus dépendant·es de ceux qui développent et distribuent les logiciels.
Les enjeux de surveillance posent des questions d’ordre social qui dépassent les choix techniques.