Bruxelles en mouvements n°324, juin 2023.
Le dernier numéro du Bruxelles en Mouvements est dédié aux Arbres et aux intérêts antagonistes dont ils sont l’objet au fil du temps. Telle une caisse de résonance, il donne prise aux mobilisations d’envergure qui ont eu lieu ces dernières années à Bruxelles (et ailleurs) pour s’opposer à l’abattage d’arbres prévu par des plans de réaménagement.
Trois récits de terrain, des luttes citoyennes, ponctuent ce numéro, actant des divers statuts des arbres en ville (arbres d’alignement ou isolés, bois) et du sort qui leur était/est réservé. Patrick Wouters (Bruxelles Fabrique) retrace la joie militante qui a valu la préservation des Platanes de l’avenue du Port, Guy Castadot (Comité MediaPark) conte la bataille au long cours pour le maintien du Bois Georgin et Karin Stevens (Les Amis de la Forêt de Soignes) invite à méditer la fin de vie du hêtre pleureur – un arbre remarquable - de l’Avenue des Coccinelles à Boitsfort, qu’une action en justice n’a pu sauver.
Si aujourd’hui nous sommes à un tournant dans le rapport aux arbres, et de façon plus générale à l’environnement, il apparaît que les arbres ont toujours été chargés de sens politique. C’est la démonstration à laquelle s’attelle Chloé Deligne, historienne, remontant le fil des métamorphoses de l’arbre politique : des arbres du Monde pour le beau monde au cours de la période moderne (VIe-XVIIIe siècle), aux arbres dans la ville industrielle (XIXe-XXe siècle) paternaliste et hygiéniste. Celle-là contient en germe le fonctionnalisme (à chaque zone de la ville sa fonction) qui s’épanouira au XXe siècle.
Force est de constater qu’à Bruxelles, la préservation d’un « patrimoine » arboré est aléatoire. En cause une législation diluée entre différentes administrations entraînant peu de concertation autour de leur conservation et une opacité des procédures de décision lors des abattages. Cataline Sénéchal (IEB) relate ce dédale administratif et en appelle à un véritable cadastre des arbres à l’échelle de la Région : une centralisation des données pour tout arbre abattu, planté, entretenu et une harmonisation de la délivrance des permis d’abattage.
Face à l’urgence de donner réponse aux dérèglements climatiques, une approche écologiste quantitative, inspirée de l’économétrie, s’est épanouie ces dernières décennies, considérant avant tout les services écosystémiques que les arbres rendent à la communauté des humains (cycle de l’eau, biomasse, îlot de fraîcheur, hôte d’une biodiversité, neutralisation du CO2…). Une logique anthropocentriste du vivant qui confine à la compensation : si l’on abat ici, on replantera là-bas. Battue en brèche par les éthiques de l’environnement qui se sont développées en Europe dans les années 2000. Amandine Tiberghien (Natagora Bruxelles) détricote cette évolution de la pensée et des droits de la nature. La reconnaissance d’une part d’une identité juridique à la nature et d’autre part de la notion d’écocide ne règle toutefois pas la question de qui peut être la voix légale des entités naturelles ? Une interrogation qui renvoie aux aspects sociaux de l’écologie directement liés aux usages de la nature et aux intérêts à la défendre.
Parallèlement, une littérature abondante veut aujourd’hui « penser comme un arbre », « croire aux arbres », leur reconnaître des facultés cognitives qui ne seraient plus le monopole de l’humain. Stéphanie D’Haenens (IEB), s’entretient avec Quentin Hiernaux, philosophe, sur le peu de considération morale que la société occidentale moderne a accordé à la plante individuelle et à la valeur des formations végétales assimilées à l’environnement. Le monde végétal est rangé du côté de la pure nature, comme une extériorité radicale avec laquelle nous n’avons pas d’interaction sociale thématisée en tant que telle. Pourtant, nous apprécions toutes et tous des promenades sous la canopée. Les Bruxellois.e.s ont cette chance inouïe de vivre à côté de la Forêt de Soignes, une des plus grandes forêts périurbaines d’Europe avec ses 4.400 hectares (6285 terrains de foot). Ce poumon vert est lui aussi rudoyé par le contexte global des dérèglements climatiques entre stress hydrique et vent de tempête. Alain Paquet (Forêt et Naturalité) nous invite à la penser en « libre évolution » c’est-à-dire laissée à ses propres processus de dépérissement progressif et à son remplacement spontané par d’autres essences indigènes. Un modèle qui se démarque du système productiviste actuel qui aboutit à exporter les hêtres bruxellois vers la Chine, pour un retour vers l’Europe après transformation.
Actant l’absence d’un cadastre des arbres bruxellois, IEB, en partenariat avec l’association Tactic, a lancé, en parallèle à ce numéro, arbres.cartobru.be, une cartographie collaborative en ligne. La carte est capable d’importer des données publiques exploitables. Elle permet aussi d’encoder les arbres croisés en rue, au parc, dans son jardin, que ce soit directement ou plus tard, après les avoir notés dans son calepin.